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Les idées politiques et sociales de Jean-Jacques Rousseau[1]


Je ne pourrai pas, en une heure, entrer dans le détail cependant si intéressant des idées politiques et sociales de J.-J. Rousseau. Je serai même obligé, faute de temps, de laisser de côté une partie essentielle de son oeuvre, celle qu’E. Quinet considérait comme vitale, celle qui a trait aux rapports de la religion et de l’État, l’institution d’une religion civile. Je dois me borner à indiquer les grands traits des conceptions politiques et sociales de Rousseau, à marquer surtout quel était son état d’esprit et d’âme dans cet ordre de questions. Ce n’est peut-être pas entièrement inutile à notre époque, car l’homme extraordinaire que L. Blanc et G. Sand admiraient, n’est pas très pratiqué par la nouvelle génération politique et littéraire. Il n’en reste guère dans les esprits qu’une vague idée, une notion confuse de républicanisme théorique, de brillants mais dangereux paradoxes, d’incurable misanthropie.

D’abord, si l’on veut bien comprendre le sens profond de l’œuvre politique et sociale de J.-J. Rousseau, il faut se rappeler qu’il n’a commencé que fort tard à écrire, vers la cinquantaine, qu’il s’était nourri jusque-là sans aucune préoccupation d’écrivain, de musique, de fortes et graves lectures et surtout de toutes les images familières ou grandioses de la nature, qu’il aimait les champs, les bois, le ciel changeant. Il avait, sous les arbres, étudié et rêvé, classé des herbes et songé à Dieu. — Puis un beau jour, ou plutôt une belle nuit, il s’endort au bord d’un lac et il se réveille avec la lumière . Rien ne pouvait remplacer dans son cœur sensible la contemplation muette de la nature. Lorsqu’il avait pu échapper aux importuns, qu’il avait tourné un certain angle de mur et qu’il se voyait brusquement en face de la campagne solitaire, il avait des pétillements de joie. Devant

  1. Conférence prononcée le 19 décembre 1889, à la Faculté des lettres de Toulouse, par M. Jaurès, chargé de cours de philosophie, — recueillie par M. Gheusi, professeur à l’Université de Toulouse, député de la Haute-Garonne. M. Jaurès, qui n’a pu revoir cette conférence, a bien voulu nous autoriser à la publier telle quelle.