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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

et classificateur consacre pour des siècles le traité de partage qui abandonne le discret et le fini aux combinaisons de la science, qui réserve aux spéculations de la métaphysique la virtualité du continu et de l’infini.

D’autant que la géométrie grecque demeurera dans la théorie assujettie à la loi de cet équilibre, il est plus instructif de suivre dans la pratique le mouvement de l’intelligence pour tourner cet obstacle factice. Déjà ce mouvement était dessiné dans les premières tentatives pour résoudre le problème de la quadrature du cercle. Assurément Bryson d’Héraclée avait tort de croire qu’il suffisait de constater que la surface du cercle est intermédiaire entre le polygone inscrit et le polygone circonscrit, pour conclure que la surface du cercle est la moyenne arithmétique de ces deux surfaces[1]. Mais que l’on prenne pour ce qu’elles valent les considérations dont procède cette conclusion, et le passage va s’ouvrir d’une argumentation arguée de sophistique à la mathématique proprement dite. On ne traitera plus comme équivalentes toutes les grandeurs intermédiaires entre deux figures données, on mesurera l’écart de ces figures, on le fera diminuer progressivement. Si on double sans cesse le nombre des côtés des polygones réguliers qui sont ou inscrits ou circonscrits au cercle, leur surface se rapproche sans cesse de la surface du cercle, et la différence devient plus petite que n’importe quelle quantité donnée.

Ainsi se constituera une science nouvelle, qui à l’aide d’inégalités décroissantes fournit de l’égalité une approximation aussi étroite que l’on voudra. Ainsi se constituera une logique de l’inégalité, dont les géomètres du y siècle ont dégagé les principes avec une irréprochable netteté. Leur méthode, que nous appelons aujourd’hui méthode d’exhaustion, est exprimée dans le premier théorème du Xe livre des Éléments « Étant données deux grandeurs inégales, si on retranche plus de la moitié de la plus grande, puis plus de la moitié de la quantité restante ; et toujours ainsi, le reste de la plus grande des quantités données sera plus petit que la plus petite de ces quantités[2]. » La démonstration du théorème repose sur une très remarquable proposition, introduite à titre de définition dans le Ve livre des Éléments, et qui joue, comme Hilbert l’a fait

  1. Voir les textes recueillis par Brandis, Scholia in Aristotelem (1836), 211b, 19 sqq et 306a, 5. Cf. Cantor, op. cit., p.203.
  2. Cf. Heiberg, Euclidis Elementa, t. III, 1866, p.4.