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L. BRUNSCHVICG – la pensée mathématique

de leurs applications, la « métaphysique » du calcul infinitésimal demeure un objet de recherches, dont l’obscurité et la stérilité furent un scandale pour plusieurs générations de mathématiciens. La réflexion y courut le risque, auquel la philosophie scientifique n’échappe pas complètement de nos jours, de se perdre dans l’examen des théories que les savants émettent extérieurement en quelque sorte à leur science, dans la recherche d’une superstructure qui attire de loin les regards, mais qui est inutile et fragile, alors qu’en fait c’est la constitution interne, l'infrastructure de la science qui est le domaine le plus solide et le plus fécond de son investigation. La considération des méthodes qui ont été effectivement et utilement pratiquées est la seule matière qui puisse servir à une analyse positive et technique de l’esprit.


De Zénon D’Elée a Archimède

Dès l’antiquité grecque le contraste éclate entre le réalisme métaphysique et l’esprit proprement scientifique. Il est remarquable que, pour retrouver la plus ancienne trace de la pensée infinitésimale, nous devions nous adresser, dans l’état actuel de notre information, non aux mathématiciens chez qui elle paraît avoir été présente, soit Démocrite qui a le premier énoncé le théorème de relation entre le volume du cône et celui du cylindre[1], soit les Pythagoriciens qui ont découvert et manié les grandeurs irrationnelles, mais au penseur qui semble bien avoir été l’adversaire de ces mathématiciens, à Zénon d’Elée. Lorsque Zénon formule l’argument de la dichotomie, lorsqu’il fait ressortir la nécessité pour le mobile de parcourir avant la ligne tout entière la moitié de cette ligne, puis la moitié de cette moitié, et ainsi de suite à l’infini[2] il conçoit, suivant l’observation de Zeuthen[3], la série

  1. Cf. Un traité de géométrie inédit d’Archimède, trad. Th. Reinach, préambule, Rev. Gén. des Sciences, 30 novembre 1907, p. 614.
  2. Πρὼτος [λόγος] ὁ πρὸς τὸ τἑλος. (Arist., Phys., VI, 9, 239b, 11.)
  3. Histoire des mathématiques dans l’antiquité et le moyen âge, trad. Jean Mascart, 1902, p.54.