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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

du bon sens la fécondité de l’activité intellectuelle en la subordonnant à l’exigence de la représentation intuitive. Nulle part n’apparaît avec plus de clarté que dans cette préparation du calcul infinitésimal la double capacité de l’esprit humain, d’une part à poursuivre l’univers dans son cours le plus subtil et en apparence le plus déconcertant, à prendre possession de phénomènes si menus et si nombreux qu’ils semblaient insaisissables, et d’un autre côté à s’inquiéter de la légitimité de ses succès ou tout au moins de leur conformité au droit antique, à faire de la victoire même qu’il vient de remporter la source d’inextricables embarras.

Quand nous enregistrons la diversité des voies par lesquelles la pensée s’acheminait vers le nouveau calcul, nous y voyons simplement aujourd’hui la preuve que le problème était bien posé par la nature des choses ; quand nous constatons la concordance des résultats obtenus en suivant ces voies diverses, la vérification perpétuelle par la connexité de disciplines en apparence distinctes est pour nous la plus éclatante des justifications. Mais l’histoire montre aussi combien cette interprétation de la pensée scientifique était loin de pouvoir être explicitée par ceux-là mêmes que le sentiment de l’unité intime de la science appuyée sur l’unité radicale de la nature[1] que la possibilité de toujours contrôler les unes par les autres les formules de l’analyse, les constructions de la géométrie, les expériences de la mécanique avaient le plus directement guidés dans leurs travaux. Au delà des problèmes techniques, dont ils ont su fournir les solutions, nous les verrons soulever, ou laisser soulever autour d’eux, des problèmes d’un autre ordre, et qui par leur énonciation même sont insolubles. Les notions fondamentales pour les combinaisons de la pensée scientifique ne devraient pas seulement être comprises dans des jugements de relation ; elles devraient être isolées et devenir objets de jugements d’existence ; elles devraient par suite être représentées dans une intuition d’ordre sensible ou supra-sensible. On essaiera ainsi de faire rentrer dans le cadre des données imaginatives les processus de différenciation et d’intégration dont la nature est analytique et intellectuelle, et de se figurer une réalité qui, soit l’infiniment petit. Au XVIIIe siècle même, et alors que les méthodes de Newton et de Leibniz sont consacrées par le succès

  1. « Nunquam satis mirata connexio qua ea etiam quæ remotissima videntur in unum addicat unitatis amatrix natura ». (Pascal, Potestatum numericarum summa, t. III, 1908, p. 366.)