Page:Revue de métaphysique et de morale, numéro 3, 1909.djvu/20

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
328
REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

verselle, après qu’on a montré l’impuissance de l’homme à réaliser l’idéal de la méthode parfaite où toutes les notions seraient définies, oa tous les principes seraient démontrés, que l’on se heurte, sur le terrain même que l’on a choisi, au mépris et à l’ironie de l’ « esprit fort ». Voici l’accueil que Méré fait aux idées de Pascal sur l’infini de petitesse « Ce que vous m’en écrivez me paraît encore plus éloigné du bon sens que tout ce que vous m’en dites dans notre dispute. Je vous apprends que, dès qu’il entre tant soit peu d’infini dans une question, elle devient inexplicable, parce que l’esprit se trouble et se confond. De sorte qu’on en trouve mieux la vérité par le sentiment naturel que par vos démonstrations. » Or, selon Méré, plus atomiste que Gassendi lui-même, le sentiment naturel n’accorde aucune place à l’abstraction mathématique distincte de la réalité physique. Pascal ne commence-t-il pas par reconnaitre que « quelque petit que soit un espace, on peut encore en considérer un moindre et toujours à l’infini, sans jamais arriver à un indivisible qui n’ait plus aucune étendue[1] » ? Dès lors, si le géomètre pose, comme élément de son calcul, un indivisible, il n’a pas le droit de le traiter comme un minimum, à plus forte raison comme un néant d’existence. Le bon sens de Méré rejettera donc tout ce qui dans le calcul des indivisibles est en opposition, soit avec les règles ordinaires de l’arithmétique, par exemple cette proposition qu’ « un indivisible multiplié autant de fois qu’on voudra est si éloigné de pouvoir surpasser une étendue, qu’il ne peut former qu’un seul et unique indivisible[2] », — soit avec les lois de la représentation spatiale, par exemple « ce langage des indivisibles, la somme des lignes ou la somme des plans, qui semble ne pas être géométrique à ceux qui n’entendent pas la doctrine des indivisibles, et qui s’imaginent que c’est pécher contre la géométrie, que d’exprimer un plan par un nombre indéfini de lignes[3] ».

A quoi Pascal répond par une sorte de raisonnement expérimental « S’il était véritable que l’espace fût composé d’un certain nombre fini d’indivisibles, il s’ensuivrait que deux espaces, dont chacun serait carré, c’est-à-dire égal et pareil de tous côtés, étant

  1. Réflexions sur l’esprit géométrique. Pensées et opuscules, 4e édit., 1907, p. 174.
  2. P. 182. L’indivisible est, en raison de cette propriété, assimilé au zéro de l’arithmétique qui est, dit Pascal « un véritable indivisible de nombre comme l’indivisible est un véritable zéro d’étendue » (p. 183).
  3. Lettre de Dettonville à Carcavi (1659)