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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

pensée économisée. Par exemple, au début de la physique, l’énergie sera définie, le principe de la conservation de l’énergie sera énoncé ; mais il sera inutile de chercher à se représenter ce que peut être l’énergie, ou à deviner la réalité à laquelle elle correspond, inutile aussi de demander à une expérience particulière de décider pour ou contre la loi de conservation. Les notions ne sont que des symboles ; les principes sont des équations ; la systématisation des conséquences que l’on tire de la combinaison de ces symboles suivant les lois de la déduction mathématique est la seule matière qui mérite de retenir l’attention.

En d’autres termes, la science moderne tend à passer par profits et pertes tout l’effort de pensée qui a été nécessaire, pour entrer en possession d’une expression claire et simple des principes fondamentaux. Les frais de première installation, qui ont été supportés par les générations passées, sont épargnés aux générations nouvelles. Le capital qui demeure engagé dans l’affaire est strictement réduit au minimum. Dans l’enseignement la numération est présentée comme un système régulier d’une application illimitée ; la géométrie est enfermée dans le cadre de la logique euclidienne ; l’analyse est un enchaînement abstrait de propositions rattachées a un petit groupe de définitions initiales.

Quel que puisse être son avantage pour les progrès de la technique, il est facile de voir à quel danger cette tradition pédagogique expose les recherches critiques qui ont pour objet, selon l’expression de Paul Dubois-Reymond, une intelligence plus profonde du mécanisme de la pensée. Comment saisir le secret de la constitution de la science dans la considération d’une forme qui a été reconstruite avec l’intention d’en exclure les éléments proprement constituants : l’effort personnel de l’invention, le développement continu et collectif dont procède cet effort et auquel il aboutit ? La première précaution à prendre pour l’intelligence d’une science, ce sera de restituer les conditions psychologiques et sociologiques au milieu desquelles cette science a grandi et a conquis sa valeur de vérité, ce sera d’en établir ce que nous appellerons le bilan intégral. La critique positive de la connaissance a pour tâche essentielle d’interpréter l’état d’une science aujourd’hui formée, comme la mathématique l’est incontestablement, la lumière du passé qui en explique la formation ; l’histoire est le guide naturel de ses recherches.

Malheureusement, pour ce qui concerne la mathématique, l’ensei-