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L. BRUNSCHVICG – la pensée mathématique

l’étendre, la Géométrie des Anciens. Il lui suffit d’invoquer en quelques brèves formules la notion fondamentale de l’homogénéité qui ne permet pas de composer la moindre surface avec une multitude de lignes, si grande soit-elle, qui interdit également le passage du fini à l’infini[1].

La réponse de Cavalieri était techniquement la meilleure de toutes puisqu’il apportait, comme le fait observer Marie[2], la solution de difficultés qui avaient arrêté Guldin. Philosophiquement elle eût été satisfaisante si Cavalieri s’était borné à confronter avec les objections de Guldin la clarté intrinsèque de ses propres principes. Malheureusement, il n’a pas résisté à la tentation de se placer, lui aussi, sur le terrain de l’imagination vulgaire, sans prendre garde que la grossièreté et l’inexactitude évidente des comparaisons auraient nécessairement pour effet de faire suspecter la légitimité du calcul des indivisibles. Si l’on nous dit que les surfaces sont comme dés toiles formées de fils parallèles, les solides comme des livres formés de feuilles parallèles[3], comment n’apercevrions-nous pas que l’on contredit deux fois à la réalité en dépouillant ces fils ou ces feuilles de leur épaisseur, et d’autre part en en réunissant une infinité dans une portion finie de l’espace ?

Les difficultés que nous soulèverions ainsi n’atteindraient pourtant pas la vraie pensée de Cavalieri ; Cavalieri a toujours repoussé l’interprétation dogmatique du calcul des indivisibles, où la totalité des plans serait identifiée sans réserve au solide. La représentation de l’infinité des indivisibles est, pratiquement, pour la technique de la géométrie, équivalente à la représentation du continu ; mais, si l’on insiste, si l’on prétend qu’il y a autre chose dans le continu que dans la somme des indivisibles, il suffira, pour résoudre la difficulté, de passer du point de vue statique au point de vue dynamique, comme Souvey venait déjà de le faire dans son Tractatus de Curvi et recti proportione (1630)[4] que l’on considère le mouvement par lequel une ligne droite tourne autour d’une de ses extrémités, on aura pour chaque instant du temps la description d’un point de la circonférence, pour la totalité des instants la totalité des

  1. Voir dans la seconde partie de la Centrobarytica publiée en 1642, les pages 340-342.
  2. Op. cit., IV, 70.
  3. Exercitationes geometricæ sex (1647), IV et V, p. 3-4.
  4. Voir la page de Souvey, citée par Vivanti dans Il concetto d’infinitesimo, Mantova, 1894, p. 92-93.
Rev. Méta. — T. XVII (n° 3-1909)
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