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peuple s’intéresserait-il à la chose publique ? Comment son éducation civique se ferait-elle, lorsqu’on recule à lui imposer la discipline nécessaire, lorsque théoriciens et hommes d’État semblent à l’envi s’incliner devant ses faiblesses et même les justifier comme l’expression de la saine doctrine ?

Peut-être touchons-nous ici le plus clair symptôme de notre mauvaise éducation morale et de notre manque de sens social : je veux dire notre peu d’honnêteté fiscale, disons de patriotisme devant le trésor public. L’État apparaît à beaucoup comme une sorte de brigand légal qui nous demande la bourse ou la vie ; mais chose étrange, alors que beaucoup ont compris et accepté sans murmure le devoir de donner la vie, rares sont ceux qui pratiquent sans réserve celui d’ouvrir la bourse. Un député osait dire récemment en pleine Chambre : « Il n’y a plus de moralité commerciale. » Qu’eût-il pensé de la moralité fiscale ? Tout a été dit sur l’inconscience avec laquelle le trésor est pillé par les uns, tandis que les autres se défilent avec plus ou moins d’habileté quand il s’agit de le remplir. Aujourd’hui, ce sont des classes entières de contribuables dont la prétention affichée est d’échapper à l’impôt sur le revenu, tandis que de son côté l’administration financière, débordée ou indécise, se sent incapable en présence de ces résistances et des irrégularités qu’elles amènent, de percevoir même l’argent qui serait à sa disposition. C’est par milliards que se comptent aujourd’hui les sommes que l’État pourrait encaisser ; mais il semble reculer devant les difficultés. Normalement, l’impôt rentrait à peu près, parce qu’il était ancien, traditionnel, modéré, général. Mais aujourd’hui que tant d’impôts sont nouveaux, pesants, discutables, fourmillent d’anomalies et d’exceptions, comment est rempli le devoir fiscal et comment seront remplies demain les caisses de l’État ? On nous dit que la victoire des alliés est la victoire de la Démocratie. Qu’est-ce pourtant qu’une Démocratie où non seulement les intérêts personnels, les intérêts de groupe, les intérêts de classe, priment constamment l’intérêt général, mais où personne ne sent et où personne n’est dressé à sentir que « l’État, c’est nous » ?

C’est dans ce domaine que nous apercevons le mieux les causes et la portée de ce divorce entre la conscience et la Société qu’il est urgent de faire cesser. Les causes : car on comprend que le fisc, qui ne peut sans doute jamais faire figure de « persona grata », ait été longtemps considéré comme l’ennemi, tant qu’il apparaissait trop à