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raît donc comme un droit qui ne fonde pas d’obligation correspondante, tandis qu’elle est une fonction sociale qui demande à être exercée dans des conditions déterminées par l’intérêt collectif.

Nous ferons des constatations analogues si nous passons aux professions dites libérales. Le journal insère n’importe quelle réclame : il ne fait que louer « son mur », suivant la formule connue. La Presse qui pourrait être, qui serait normalement l’organe de l’opinion publique ou le moyen de faire son éducation, n’est plus guère qu’une affaire ; on flattera l’opinion pour réussir, mais on ne la guidera pas ; on ne l’informera même pas exactement. Il y a des faits que jamais la presse ne consentira à faire connaître, des doléances qu’elle n’accueillera pas, malgré l’utilité que pourrait avoir cette publicité, parce que le journal redoute d’offenser telle clientèle, telle puissance financière. Une sorte de chantage négatif et virtuel impose certains silences. Voici maintenant l’avocat qui accepte de défendre n’importe quelle cause sous prétexte que c’est son rôle et que les bonnes causes n’ont que faire de son talent ; qui met toute son habileté professionnelle à sauver un chenapan, à empêcher l’inculpé de répondre aux questions du juge d’instruction. Voici l’artiste qui, au lieu de répondre à l’appel de son propre idéal, préfère consulter le goût de la clientèle qui paye le mieux, ou qui, prisonnier de son propre succès, se fixe et s’immobilise dans le genre où il s’est fait un nom. Voici enfin l’érudit qui oublie trop, lui aussi, que l’intelligence a ses fonctions et qu’elle ne doit pas se dépenser inconsidérément parce que chacun doit compte à l’humanité de ces dons là aussi. Sans en venir aux étroites et imprudentes limitations que prétendait imposer Auguste Comte au travail scientifique, on peut admette qu’elles étaient dictées par un sentiment très juste des devoirs sociaux de l’esprit. Quel profit, même purement intellectuel, l’humanité peut-elle retirer d’une étude sur « l’emploi des participes chez Tacite » ou sur « les lois de la place des mots dans le pentamètre d’Ovide » ? Quel intérêt même peut-il y avoir à approfondir certains concepts périmés de la Physique Aristotélicienne ? Certes, Le désintéressement de l’esprit est une noble chose ; et il est toujours très difficile de dire ce qui servira ou ne servira pas. Encore faut-il distinguer les connaissances qui atteignent une réalité durable, comme celles qui s’attachent à la nature, morale ou matérielle, de celles qui ont un caractère purement rétrospectif et ne peuvent faire plus que de sauver de l’oubli quelques épaves du passé. Et puis, il ne s’agit pas ici de fixer une règle, peut-