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ment subjectives ? Elles le seraient, effectivement, si l’on n’invoquait, pour les justifier, que la seule conscience. Mais, contrôlées par la raison, telle que celle-ci est devenue au cours des siècles, les inductions delà conscience sont plus que des pensées instinctives, traditionnelles et subjectives. Elles prouvent leur valeur humaine, elles présentent cet équivalent de l’objectivité proprement dite, qui consiste dans raccord des intelligences. De cette garantie est-il certain que la science elle-même puisse se passer ; et, si l’homme n’est pas un étranger dans la nature, pourquoi l’humain n’aurait-il pas quelque valeur universelle ?

La conscience peut-elle, sur les origines du réel, nous apporter, en ce sens, quelque lumière ?

La forme la plus simple de la vie consciente est le sentiment.

Le sentiment est-il susceptible d’exister seul, à l’exclusion de l’intelligence et de la volonté ? On ne saurait l’affirmer, puisque l’on est réduit à citer des états incontrôlables, tels que la conscience de l’enfant pendant les premiers mois, ou l’état riant que procure le haschisch, ou l’euphorie de certains mourants, lorsque l’on essaye de donner des exemples de la conscience affective à l’état pur. Mais, mêlé aux autres manifestations psychiques comme il l’est d’ordinaire, le sentiment n’en marque pas moins sa présence par certains caractères très discernables. Le plus original est la conscience de l’existence. Sentir, jouir, et, davantage peut-être, souffrir, c’est être pour soi, de la façon la plus nette, la plus irréfutable qui soit au monde. Les romantiques ont fondé sur ce fait leur panégyrique de la souffrance. Ils plaçaient la supériorité, la marque de l’élection, dans la conscience de soi ; et, pour exalter cette conscience, ils ne voyaient rien de plus efficace que la douleur.

Pour vivre et pour sentir l’homme a besoin des pleurs.

S’il est un phénomène dont la conscience d’exister ne se puisse détacher, et qui soit susceptible de manifester cette conscience dans sa plénitude, c’est le sentiment. Il est donc très humain, il est conforme à la nature humaine prise en général, de voir dans les propriétés du sentiment l’origine de l’être même que nous trouvons dans les choses, et dont la science poursuit l’analyse au moyen de ses symboles. La science suppose l’être : le sentiment, tel qu’il existe dans la conscience humaine, est l’être même.

La vie consciente est également intelligence ; et l’intelligence, c’est