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évanouir entièrement ce qu’on appelle loi et ordre. La science résout l’ordre en unité pure, c’est-à-dire l’ignore. Car l’ordre est un certain équilibre de l’unité et de la multiplicité, de la variété et de l’uniformité.

Pour la science donc, à son point de vue, l’ordre donné de l’univers, qu’elle se propose de découvrir et de transformer en identité mathématique, s’il est réellement, ne saurait être qu’un produit du hasard.

Enfin la science suppose que du nouveau se produit constamment dans le monde. Si elle était assurée qu’il n’y a, dans les choses, ni création, ni évolution véritable, elle n’aurait nulle raison de renoncer à l’ambition de se constituer en système logique, mathématique et éternel. Si elle est décidément et tout jamais expérimentale, c’est qu’au fond elle ignore l’avenir.

Et cette troisième donnée, qu’elle accepte, sur laquelle elle se règle, elle ne peut l’expliquer. Car ses explications consistent à ramener le nouveau au déjà vu, à convertir le changeant en immuable. Le monde de la science, s’il est un jour constitué, ce sera l’Être sans non-être, tel que le conçut Parménide.

La science a une manière d’expliquer les choses qui, poussée à bout, les supprime. Quand le psychologue me démontre que, si je me crois libre, c’est que l’enchaînement des causes mécaniques détermine en moi nécessairement cette croyance, il est clair qu’il nie ma liberté. De même, l’être, l’ordre, le nouveau, raison d’être et base de la science, sont, par elle, réduits, déformés, anéantis. La science est comme le philosophe facétieux de Voltaire, qui dit à l’Être, dont il doit fournir l’explication :

Pardonnez-moi…
Mais je pense, entre nous, que vous n’existez pas.

Et ainsi, il est bien vrai que de ses constructions la science élimine progressivement le hasard : cette tâche est précisément celle qu’elle s’est assignée. Mais les données mêmes sur lesquelles elle travaille sont, à son point de vue, et ne peuvent être que des effets du hasard.

La science ne chasse le hasard de chez elle que pour l’installer dans les choses.

Elle dit le contraire. C’est que dans le savant il y a un homme, qui juge avec sa raison, alors que la science, elle, n’admet que les faits et la déduction logique. La science, en réalité, est indifférente