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admettre que le hasard existe et joue un rôle dans la production des phénomènes ? Soit un phénomène étrange, irréductible, en apparence, aux phénomènes connus, par exemple la mutation brusque de M. de Vries. Inexplicable, et par des causes externes et même par des causes internes, ce phénomène sera-t-il, par le savant, rapporté au hasard ? En aucune façon. Le savant en sera quitte pour admettre provisoirement l’existence de caractères latents, dont ce qu’on appelle mutation brusque ne serait que la mise au jour. Et ces caractères latents eux-mêmes, il s’efforcera, par l’analyse expérimentale, de les ramener à des phénomènes observables et définis.

Si puissants que soient devenus nos moyens d’investigation, il est clair qu’il y a, dans la nature, des causes si petites que nous ne pouvons actuellement les saisir, des assemblages de causes si complexes, que nous ne pouvons les débrouiller. C’en est assez pour que certains phénomènes nous semblent se produire par hasard. Mais là où toutes les causes ou lois que nous connaissons paraissent radicalement insuffisantes pour rendre compte du phénomène en question, nous pouvons toujours supposer l’existence d’une cause qui nous échappe, ou le jeu d’une loi totalement différente de celle que nous connaissons.

There are more things in heaven and earth, Horatio,
Than are dreamt of in your philosophy.

Il est étrange qu’un illustre penseur ait dit qu’il croirait à la possibilité du miracle lorsque la réalisation d’un miracle aurait été constatée et reconnue par l’Académie des Sciences. Même la résurrection d’un mort, dûment constatée, ne serait pour l’Académie des Sciences qu’un phénomène naturel, dont toute l’originalité consisterait à dépendre vraisemblablement de quelque loi actuellement inconnue.

Ce n’est pas précisément en fait, c’est a priori que la science nie le hasard. Sa tâche est précisément de l’éliminer.

Mais suffit-il que la science se propose cette fin pour que la nature soit tenue de la réaliser ?

En fait, la science, si développée qu’on la suppose, laisse subsister trois données qui, à son point de vue, ne comportent pas d’autre explication que le hasard.

La science a besoin que des êtres lui soient fournis, des êtres qu’elle puisse observer du dehors, auxquels, elle puisse se sou-