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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

pensée contemporaine, et à ses meilleures tendances, je veux dire aux plus fécondes, aux plus fructueuses, que ce jeu déductif d’entités conceptuelles. Il s’inspire d’une philosophie périmée, désormais tombée en désuétude, à laquelle aucun de nous ne saurait plus revenir. C’est là un fait irrévocable. D’ailleurs ne saute-t-il point aux yeux que de nos jours une pareille preuve ne satisfait ni ne convainc personne ? Ceux mêmes qui croient en Dieu n’y croient point du tout à cause d’elle.

Mais il convient d’entrer dans le détail afin de bien voir par où la preuve en question pèche à nos yeux.

D’abord elle implique et suppose l’adoption préalable de certains postulats relatifs à la nature du mouvement. Elle procède en effet d’une méthode de réification statique familière à la pensée commune, sur laquelle j’insisterai un instant.

Revenons au texte de saint Thomas. On y parle du mouvement comme de « quelque chose » qui se donne et se reçoit, qui passe d’un corps à l’autre et se transmet en tout ou en partie, bref comme d’un accident qui s’ajoute à des substances en elles-mêmes immobiles. On introduit donc, par le langage même qu’on emploie[1], comme support nécessaire du mouvement, une chose, un noyau, un substrat. Tout est plus ou moins imagine sous les espèces d’une boule qu’on place d’abord devant soi en repos, puis à laquelle on communique ensuite une impulsion. Le mouvement est résolu en immobilités ; il s’évanouit pour ainsi dire devant ses deux termes extrêmes, son point de départ et son point d’arrivée : à savoir, dans l’exemple de saint Thomas, les deux entités immobiles du chaud et du froid. Le devenir est défini comme transformation, c’est-à-dire passade d’une forme à une autre ; mais les deux formes sont conçues statiquement chacune à part ; en sorte que, dans la transformation considérée, on néglige le passage même, qui en est pourtant l’essentiel, et qu’on la traite en fin de compte comme une simple substitution logique d’un état à un état. Quels sont alors les principes explicatifs du mouvement, du devenir ? Il y en a quatre : 1° une matière ou substrat, théâtre inerte du changement ; 2° une forme, semblable à un vêtement tout fait d’avance ; 3° une cause motrice immobile, qui habille la matière de la forme ; 4° une fin également immobile, qui

  1. Nouvel exemple des conséquences qu’entraîne parfois subrepticement le simple fait que certaines réalités, qui pourtant ne sont point des choses, ne laissent pas néanmoins d’être désignées par des substantifs.