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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

temps négligé la grammaire générale ; et les linguistes, de leur côte, l’ont également négligée, par défiance pour la philosophie. Il en est résulté une séparation complétera logique et de la linguistique, au détriment de toutes les deux. Mais de nos jours, les linguistes ont cessé de professer un dédain systématique pour la philosophie, et une aversion pour les « idées générales » ; ils ont fini par s’apercevoir que les langues ne sont pas des « organismes » qui évolueraient d’une manière inconsciente spontanée, en dehors et presque indépendamment des esprits. Ils ont reconnu que la pensée, et même la pensée consciente et réfléchie, joue un rôle essentiel dans cette évolution ; que les langues sont en somme des instruments de cette pensée, et qu’elle les fabrique naturellement suivant ses besoins. Parmi les facteurs de cette évolution, il faut faire place à une logique inconsciente et instinctive, dont les formes du langage sont une manifestation, si confuse qu’elle soit. Or des études de « grammaire comparée » il ressort que certaines formes grammaticales sont à peu près universelles, et constituent implicitement une « grammaire générale ». Il n’est pas possible que ces « catégories grammaticales » n’aient pas quelque relation avec les « catégories logiques ». Dès lors, au lieu de construire le système de catégories a priori pour ainsi dire dans le vide, ou de le calquer (comme Kant) sur-les cadres scolastiques d’une logique surannée, en y ajoutant de fausses fenêtres pour la symétrie, ne serait-il pas plus sage, et plus sûr, de s’inspirer des résultats de la grammaire comparée ? Ce sont ces résultats que nous voulons exposer ici, d’après le cours récent de M. Meillet sur la morphologie générale et les catégories grammaticales[1]. Il va sans dire que les conclusions de ce cours reposent sur une étude strictement objective, des faits linguistiques, sans aucune idée préconçue, et sur une enquête comparative s’étendant à toutes les langues humaines, même les moins civilisées… Or il en est ressorti ce fait, qui a étonné le professeur lui-même, que les catégories grammaticales sont beaucoup plus universelles qu’on ne se l’imagine : ce qui diffère surtout, ce sont les formes, c’est-à-dire les moyens d’expression ; mais les idées fondamentales sont sensiblement

  1. Collège de France, 1910-11. Nous avons publié une analyse de ce cours dans la revue Progreso, juillet à décembre 1911, dans la langue internationale (Ido) que tout homme instruit peu comprendre à première vue.