finalement qu’une « fiction logique », qui a été inventée parce qu’elle fournit un moyen commode de formuler des lois causales. En dernière analyse, ce qui caractérise le plus essentiellement le psychique, ce sont les lois causales qui lui sont propres, et où interviennent l’habitude et la mémoire ; de là un déterminisme spécial, le déterminisme mnémique, expression empruntée aux travaux de R. Sémon. Ceux qui considèrent la conscience comme fondamentale voient en elle une propriété s’étendant à toute notre vie mentale, une propriété distincte des images, des sensations, des souvenirs et des croyances, mais présente dans toutes ces manifestations. On est cependant obligé d’admettre l’existence de croyances inconscientes et de désirs inconscients. De plus, la conscience doit être conscience de quelque chose. On peut définir la conscience comme un rapport existant entre une image et un mot, par exemple, c’est-à-dire en fonction de ce qu’on nomme une signification. Lorsqu’une sensation est suivie d’une image qui en est une copie, on peut dire que l’existence de l’image constitue la conscience de la sensation, à la condition qu’elle soit accompagnée d’une croyance faisant sentir que l’image est un signe de quelque chose d’autre qu’elle-même (p. 289). Cette définition de la conscience par la signification, qui, à son tour, se définira par l’association des images, nous semble assez décevante, sinon sophistique.
La psychologie de Bertrand Russell laisse entrevoir une métaphysique s’inspirant du néo-réalisme : la « substance du monde », ou la réalité ultime ne serait ni mentale, ni matérielle, mais neutre, et c’est de cette substance neutre que seraient faits aussi bien le monde mental que le monde matériel. À cette substance fondamentale correspondra probablement un jour une « science fondamentale et unificatrice », qui nous révélera les lois de corrélation « des détails constituant une unité matérielle », envisagée dans l’un quelconque de ses états momentanés, et qui formulera les lois causales du monde dans les termes de ces détails et non dans les termes de la matière, qui est une construction logique et un système fictif imaginé pour les besoins de la pratique (p. 307). De cette science future, véritable métaphysique, nous sommes encore loin. Il ne s’ensuit pas qu’il soit erroné de la prévoir.
De telles vues, certes, ne manquent ni de séduction ni de hardiesse. Toutefois, on peut se demander si des spéculations aboutissant au contre-pied des notions du sens commun, alors qu’à tout moment ces mêmes notions, avec leur acception vulgaire, interviennent pour étayer les raisonnements, sont vraiment profitables à la philosophie générale. Au demeurant, livre obscur, de lecture malaisée ; mais à tout le moins représentatif de l’état actuel de la réflexion philosophique dans les pays de langue anglaise.
Les courants de la pensée philosophique française, par A. Cresson, 2 vol. in-16 de 210 et 212 p. Paris, Armand Colin, 1927. Résumé de l’histoire des idées philosophiques en France, de Montaigne à Bergson, ce livre de M. Cresson n’est pas un simple manuel de vulgarisation. Frappé de l’apparence confuse qu’offre aujourd’hui, la diversité des doctrines et des points de vue philosophiques, l’auteur essaie de l’expliquer en une certaine mesure, en ce qui concerne en particulier notre pays, par le conflit qui, à partir de la Renaissance, n’a pas cessé de mettre aux prises l’esprit de libre réflexion théorique et les besoins du conservatisme éthique et social. De là des ressauts, des scissions et des tourbillons dans le grand courant de l’affranchissement intellectuel que représente la pensée française dans son ensemble. Malgré les réactions et les divergences, elle manifeste une incontestable unité de direction. Les philosophes français les plus récents, même les plus originaux, suivent à leur manière les voies où leurs prédécesseurs s’étaient engagés. Les uns continuent plus ou moins fidèlement le mouvement positiviste ; les autres « ne cherchent qu’un moyen ingénieux d’échapper aux suggestions déterministes des sciences parce qu’ils les estiment contraires aux besoins moraux de l’âme humaine », mais leurs réactions mêmes attestent la force de la poussée à laquelle ils essaient de résister. Au xixe siècle, notamment, on voit la pensée française « terrifiée de ses propres destructions », comme l’apprenti sorcier de la légende, et « acharnée à redorer, tout en abandonnant le moins possible des conquêtes théoriques de la science, les préjugés d’ordre pratique dont la société humaine a besoin ».
Il y a sans doute beaucoup de vrai dans ce tableau. Cependant une telle conception paraît un peu trop simple. Les métaphysiciens français, et il y en a plus d’un, même de nos jours, n’obéissent pas à un simple souci de conservatisme social. Voir les choses de cette façon, n’est-ce pas, semble-t-il, faire litière des besoins propres de la réflexion philosophique, que l’insuffisance