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raison et de la foi chez saint Anselme, il divise la doctrine en deux grandes parties : la théorie de la connaissance et la théorie de l’action. La théorie de la connaissance nous élève par degrés de la connaissance sensible à la connaissance rationnelle, puis à la connaissance intuitive ; c’est à propos de cette dernière que l’auteur rencontre et étudie soigneusement le fameux argument qui devait jouer un rôle si fécond sous le nom d’argument ontologique. Quant à la doctrine de l’action, elle part de l’étude préalable de la volonté divine pour redescendre vers ce qu’eût été une volonté humaine idéale, telle qu’elle était dans l’état de pure nature, et atteindre enfin l’état actuel de notre volonté déchue par le péché. Toute cette étude s’achève par une détermination de l’idée de Béatitude, avec le caractère mystique dont Anselme l’a revêtu, et l’esquisse d’une histoire de l’influence anselmienne depuis le xiie siècle jusqu’à Kant. L’ouvrage abonde en remarques intéressantes et en aperçus ingénieux ; il est malheureusement surchargé de détails mal ordonnés et d’une érudition parfois indigeste qui en rend l’utilisation moins aisée qu’on eût été en droit de le souhaiter. Ajoutons que, malgré l’intention louable exprimée par l’auteur de nous donner pour la première fois un exposé complet de la philosophie de saint Anselme, la séparation qu’il a dû introduire entre la philosophie et la théologie dans une doctrine où elles sont pratiquement inséparables, l’a gêné considérablement dans la réalisation de son projet.

Fichte et son Temps, II. Fichte à Berlin (1799-1813. Deuxième partie. La lutte pour l’affranchissement national, 1806-1813), par Xavier Léon. 1 vol. in-8o de x-329 p. Paris, librairie Armand Colin, 1927. — Voici le troisième et dernier volume du grand ouvrage à l’élaboration duquel M. Xavier Léon a consacré son existence. Ajoutez-y le volume intitulé : La Philosophie de Fichte, et paru en 1902, cela fait quatre volumes, hors ligne par la pénétration de l’analyse et la richesse de l’information. Quel autre philosophe, dans l’Occident moderne, a eu la fortune de trouver un pareil biographe ? Ce dernier volume est sans doute le plus dramatique des quatre, celui qui offre l’intérêt le plus vivant.

Non que la philosophie pure en soit absente. L’analyse des Cours de 1812-1813 sur la Théorie de la Science, le Droit, la Morale, la Logique transcendantale, les Données de la Conscience, permet, à M. Xavier Léon d’appliquer la même méthode que dans le volume antérieur, et avec le même bonheur, à élucider le problème de ce qu’il est convenu d’appeler la « deuxième philosophie » de Fichte. Sa philosophie paraissait dépassée, sa gloire était obscurcis, par l’avènement de l’Ontologie schellingienne, de la « Philosophie de la Nature » ; et les romantiques schellingiens l’accusaient de s’être fabriqué un nouveau système, plagié du leur, pour leur ravir quelque chose du succès qu’ils obtenaient auprès de la jeunesse allemande. Rien de pareil. Fichte ne parle le langage de la « Philosophie de la Nature » que pour la réfuter et l’assimiler, en le transformant, à cette Philosophie critique, à ce Moralisme, qui reste immuablement sa doctrine, M. Xavier Léon se rend compte de ce qu’il y a de difficile, de « tragiquement » difficile (p. 233) dans l’accomplissement de ce tour de force, et combien de capitulations Fichte est obligé de faire à l’ontologisme de son adversaire. Mais c’est inconsciemment, involontairement. Ce qu’on observe en lui, c’est un effort constant, fût-il désespéré, pour rester fidèle à l’inspiration première de sa pensée.

Il en va de même des accusations de nationalisme et de pangermanisme qui ont été si souvent dirigées contre Fichte, et surtout depuis la dernière guerre : à lire ceux qui l’accusent, on dirait parfois qu’ils le tiennent, en dernière instance, pour le principal responsable de cette guerre. Sur ce point encore, la méthode de M. Xavier Léon lui permet de rectifier de faciles et grossières erreurs. Le présent volume, le plus historique de tous, constitue une contribution des plus importantes à la connaissance des années décisives de l’histoire de la Prusse, depuis l’invasion napoléonienne jusqu’à la guerre de délivrance. Voici Fichte, le francophile obstiné, brusquement éveillé de son rêve par la guerre, en fuite vers Königsberg, vers Copenhague, revenant à Berlin pour y vivre sous la domination française, prononçant à l’Université ses Discours la Nation Allemande sans que personne y prenne même garde ; les Discours ensuite publiés, et obtenant un succès foudroyant ; Fichte, redevenu un grand homme pour ses compatriotes, nommé par le gouvernement recteur de cette jeune Université de Berlin pour laquelle il venait de faire, avant qu’elle vît le jour, les plans les plus utopiques, en butte bientôt aux persécutions des étudiants réactionnaires, et démissionnaire forcé. Le voici, enfin, spectateur de la