LIVRES NOUVEAUX
Le progrès de la conscience dans la philosophie occidentale, par Léon Brunschvicg. 2 vol. in-8o de xxiii-364 et 441 p. Paris, Alcan, 1927. — Comme dans ses précédents ouvrages sur l’évolution de la pensée mathématique et de la pensée physique, M. Léon Brunschvicg adopte encore ici la méthode historico-critique, qui combine heureusement l’enchaînement des faits et des découvertes avec une interprétation critique montrant, dans cet enchaînement même, le déroulement dramatique de l’éternel conflit entre le dogmatisme de la science faite et l’esprit de liberté de la science qui se fait. « La philosophie contemporaine est une philosophie de la réflexion qui trouve sa matière naturelle dans l’histoire de la pensée humaine. » L’histoire proprement dite n’est donc qu’une « matière ». Pour l’informer, pour qu’elle soit à la fois une réflexion et une source de progrès, il faut en saisir les alternatives et en pénétrer le sens dialectique, en quelque sorte : « les systèmes du xixe siècle, même ceux qui ont fait la plus grande part à la considération du passé, comme l’hégélianisme ou le comtisme, n’en ont pas moins conservé l’ambition de se placer et à l’origine et au terme de tout ce que les hommes comprennent ou comprendront jamais, expérimentent ou expérimenteront jamais. Nous avons appris aujourd’hui à chercher la vitalité du savoir, fût-ce du savoir positif, dans les alternatives du mouvement de l’intelligence » (p. xviii). Ce renoncement à l’ambition des constructions définitives semble bien être, suivant M. Brunschvicg, le résultat capital de la science moderne dans l’ordre philosophique, et non un produit de la philosophie elle-même. Le progrès de la science moderne a essentiellement « un caractère réflexif », et la philosophie a pour tâche d’en prendre conscience. De là, dans le domaine spéculatif, une sorte de décalage entre les méthodes fécondes et la conscience de ces méthodes ; de là, dans le domaine pratique, de violentes ruptures d’équilibre, entraînant des réactions non moins violentes, qui sont comme la rançon du progrès moral ; de là, enfin, la nécessité de tenir compte, pour l’intelligence du progrès de la conscience dans son ensemble, de la « diversité des plans » que cette conscience est appelée à parcourir.
Au cinquième siècle avant J.-C., un grand fait s’est produit, préparé par une merveilleuse floraison de poètes, de physiologues, de techniciens et de sophistes, « un appel à la conscience de soi, qui devait marquer d’une empreinte désormais indélébile le cours de notre civilisation ». Avec Socrate apparaît le discernement rationnel, et la raison pratique se découvre elle même. À cet humanisme rationnel Platon s’efforcera de fournir les points d’appui que lui manquent, en passant du « dialogue » à la « dialectique », de la loi positive à la justice idéale. Mais la décadence commence aussitôt après ce triomphe ; les platoniciens altèrent la pensée du maître ; l’hellénisme est « brusquement détruit », l’Asie prend sa revanche, et la régression vers le Moyen Âge commence immédiatement après la prise d’Athènes (p. 44, 45). De ce point de vue, le Lycée et le Portique cessent de jalonner la route du progrès. Si Aristote revient à l’humanisme, ce n’est pas à l’humanisme de la raison ; sa doctrine marque un retour au réalisme antésocratique. Quant aux stoïciens, leur morale à base de naturalisme physique est avant tout un optimisme religieux. Bien que leur imagination toute matérialiste fût au service d’intentions visiblement spiritualistes, ils n’ont pas su dégager le sens profond de l’autonomie, et leur théologie a versé finalement dans les extravagances de l’allégorisme. Malgré les apparences contraires, les Épicuriens ont en réalité mieux défendu que l’école rivale la pureté du sentiment religieux (p. 68).
Après des chapitres pleins de saveur sur le mysticisme alexandrin et la transition médiévale, l’auteur aborde les temps modernes et situe dans les Essais le