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la connaissance issue de l’idéalisme bergsonien et sur laquelle s’appuie le mouvement pragmatiste, mais en utilisant les résultats récents de la logistique et en généralisant les vues épistémologiques de Henri Poincaré. Le rationalisme est né avec l’intellectualisme socratique ; il s’est développé dans le platonisme et le péripatétisme : il a régné au moyen âge avec La Somme ; il s’est épanoui dans le cartésianisme et a atteint son point culminant avec Hegel. En même temps qu’il imprégnait la théologie, il préparait les voies à l’effort scientifique moderne, et il inspirait et inspire encore aujourd’hui les doctrines politiques et l’idéologie démocratique. Dans la mesure où la Révolution commande nos destinées nationales en matière d’institutions, de législation, de jurisprudence, de mœurs publiques et de coutumes privées, de théorie et de pratique, nous sommes tributaires du rationalisme. Les dogmes de l’égalité naturelle, des droits innés, et de la souveraineté nationale dérivent de lui, de sorte qu’on peut dire qu’il n’a encore rien perdu aujourd’hui de son empire sur les individus et les collectivités (p. 13).

En son principe, le rationalisme est une théorie de la connaissance ; dans ses conclusions, il formule une métaphysique, et implique une morale. La pierre angulaire, c’est la théorie de la connaissance ; si on l’ébranle, il ne reste plus rien de la métaphysique, et la morale perd son autorité. Selon l’auteur, il n’en doit rester aujourd’hui, chez les esprits avertis, que le souvenir reconnaissant des éminents services rendus à l’esprit humain et à la civilisation. La théorie rationaliste de la connaissance repose sur la distinction de deux sortes de vérités : les unes empiriques, ou a posteriori, les autres dites rationnelles, ou a priori. Les premières sont contingentes, particulières, révisibles et approximatives ; les secondes sont nécessaires, universelles, éternelles et absolues (p. 2).

C’est par cette distinction que s’établit le primat de la raison, « faculté une et indivisible ; entière et égale chez tous les hommes qui la possèdent par essence ou par définition ». Si on la ruine, le reste s’écroule. L’idée de vérités nécessaires, universelles et absolues a sa source dans les jugements arithmétiques et géométriques. Les propositions premières de ces sciences déductives n’ont-elles pas le caractère requis de nécessité inconditionnelle et l’évidence impérative qu’a de tout temps réclamés la philosophie dogmatique pour opposer aux sceptiques l’existence de vérités indiscutables, qui ne dépendent d’aucun objet sensible, ni d’aucune existence contingente ? Aussi ont-elles toujours joui d’une faveur particulière auprès des rationalistes. C’est qu’en effet les arguments ordinaires de l’empirisme sont sans force contre elles. Quand j’affirme que deux et trois font cinq, ou que la somme des trois angles d’un triangle est égale à doux angles droits, il semble bien que je touche le roc de la certitude et que j’énonce des vérités contre lesquelles ni la sensation, ni l’opinion, ni la coutume ne sauraient jamais élever le moindre doute. Cependant, les logiciens et les géomètres contemporains nous apprennent que le jugement 3 + 2 = 5 « n’est qu’une vérité relative, douée d’une nécessité hypothétique » (p. 69). Même, selon Poincaré, les règles de l’addition et de la multiplication ne sont que des « conventions », que nous pouvons changer en une certaine mesure, de sorte que la notion de nombre peut s’élargir indéfiniment. Quant au théorème classique sur la somme des angles d’un triangle, tout le monde sait aujourd’hui qu’il implique un postulat, le postulat d’Euclide, et que sa vérité est bien conditionnelle et relative. Une géométrie non-euclidienne est non seulement possible, mais trouve dès à présent son application dans la physique de la relativité. Les exemples favoris des rationalistes en matière de vérités apodictiques ne prouvent à la rigueur qu’une chose : l’existence de conventions initiales à l’origine des sciences hypothético-déductives et la nécessité de faire un choix entre elles, de manière à n’en pas adopter simultanément qui soient incompatibles, autrement dit, de respecter les règles de la logique. L’erreur du rationalisme est de transférer la nécessité formelle des déductions aux principes, alors que ceux-ci ne sont ni vrais, ni faux, et étant conventionnels, sont indémontrables. Leur évidence n’est pas non plus une preuve de nécessité, si par évidence on entend leur caractère intuitif. Notre intuition dépend de notre constitution psychologique, c’est-à-dire d’une structure essentiellement contingente… S’il en est ainsi des principes des mathématiques, a fortiori en est-il de même des principes de la physique, qui ne sont, en réalité, que les résidus les plus généraux de l’expérience et qui, dans les théories physiques, jouent le même rôle que les postulats en géométrie.

Mais il ne suffit pas de réfuter, du seul