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et après Leibniz, après Kant et avant Comte lui-même, Hegel est le témoin qui a paru à M. Meyerson le plus précieux à invoquer pour faire la preuve que la réduction de la causalité à l’identité apparaît bien comme une propriété inhérente à la structure de l’organisme intellectuel. La haute autorité dont a été revêtue immédiatement la construction purement logique de la Philosophie de la Nature, comme les résistances qu’elle a rencontrées depuis, particulièrement chez Schelling, éclairent admirablement les deux faces du paradoxe épistémologique. Ici l’unité d’une raison qui demeure, à travers les siècles, à travers la divergence des savants ou des philosophes, identique à soi dans la volonté même de nier ce qui n’est pas l’identité. Là le spectacle du changement qui est le réel même de la réalité, et qui contraint perpétuellement l’homme à un compromis dont la sagesse devrait reconnaître l’inéluctable nécessité, à quoi pourtant on ne voit jamais que la pensée se résigne définitivement. Tel est le cadre de l’ouvrage que M. Meyerson remplit d’analyses empruntées aux divers domaines de l’histoire et de la science, sans que jamais faiblisse la vigueur de la démonstration. Nous n’avons pas à insister sur la portée de la doctrine, qui correspond à l’un des courants les plus puissants de la spéculation contemporaine. Nous ne pouvons que signaler la question fondamentale en présence de laquelle nous place à nouveau l’auteur d’Identité et Réalité. À mesure qu’il accentue davantage le caractère antinomique des solutions que la raison s’est suggérées et qu’elle s’imagine s’imposer elle-même, plus il excite l’espérance qu’un effort de réflexion critique permettrait de dissiper l’antinomie, en revenant, suivant la voie ouverte par la dialectique transcendantale, sur les postulats ontologiques qui étaient à l’origine de la difficulté. Dans ce cas, la description subsiste, telle quelle, des illusions réalistes dans lesquelles sont tombés savants et philosophes ; mais, au lieu d’être interprétées comme des faits de psychologie normale, elles devraient être éliminées, comme des excroissances pathologiques ou même (le mot n’est pas trop fort pour la philosophie hégélienne de la Nature, au jugement même de M. Meyerson) comme des déformations tératologiques.

L’idéal scientifique des mathématiciens, par Pierre Boutroux, professeur au Collège de France, 1 vol. in-16, de 274 p., Paris, Alcan, 1920. — Dans ce remarquable ouvrage, l’auteur a su, en utilisant son expérience de savant, d’historien et de philosophe, résumer d’une manière saisissante les principales phases du développement de la pensée mathématique. M. Boutroux n’a pas cherché à accentuer d’une manière dramatique les oppositions qui existent entre les diverses théories, à mettre en évidence le côté romantique de l’histoire, il a bien plutôt, gardant le style et la manière de l’homme de science, montré comment les grandes découvertes s’expliquent par le développement progressif et continu de nos connaissances. M. Boutroux donne tout d’abord une image en quelque sorte panoramique de la science grecque, « première étape » de la pensée mathématique véritable. Les Grecs, les premiers, semblent avoir eu l’idée de la science pure. « Les arithméticiens et les géomètres de l’Orient ont été dirigés par des considérations utilitaires… Pythagore, au contraire, remonte aux principes supérieurs et étudie les problèmes abstraitement et par l’intelligence pure. » La science grecque a un caractère contemplatif ; « le savant ne crée pas le fait » ; les faits existent objectivement hors de lui ; il étudie ce monde extérieur de la science mathématique qui est composé des nombres entiers et des figures géométriques. Puis l’auteur décrit le développement de l’algèbre moderne, qui constitue la deuxième grande période de l’histoire des mathématiques, période qu’il appelle « synthétiste » pour des raisons que nous exposerons dans un instant. « Les savants grecs ne pouvaient être de bons algébristes : ils prétendaient, en effet, saisir par l’intuition, voir d’une vue intellectuelle directe des êtres mathématiques aussi réels que les objets sensibles… Les véritables promoteurs de l’algèbre furent, en Grèce, ces logisticiens, ou calculateurs, que Platon mettait au ban de la science… Il fallait être dépourvu de scrupules théoriques pour se permettre d’opérer sur des quantités inconnues exactement comme si elles étaient connues » (p. 89).

Ce que l’algèbre cherche à élaborer, c’est une méthode universelle, telle que celle que Raymond Lulle rêvait de constituer. « Dans la Géométrie de 1627, Descartes systématise le point de vue des créateurs de l’algèbre… Sa conception est une conception synthétiste. En effet, l’algèbre, telle que la comprend Descartes, est essentiellement une méthode de combinaison. Son rôle consiste à associer des