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pas qu’on en ait donné aucune solution satisfaisante.

Éléments de philosophie.I. Introduction générale à la philosophie, par Jacques Maritain, 1 vol. in-8o de XII-214 p., Paris, Pierre Téqui, 1920. — Il est assez remarquable que le mouvement néo-scolastique se soit heurté jusqu’ici à la résistance passive de l’enseignement secondaire, même libre. L’auteur de ce nouveau manuel a voulu concilier les exigences de la doctrine thomiste avec celles de la préparation au baccalauréat. Il a en réalité tout sacrifié à la doctrine et rien au baccalauréat. Ce manuel a les qualités et les défauts des bons manuels à l’usage des collèges des XVIe et XVIIe siècles. Comme esprit : une sorte d’inconscience des difficultés. Comme méthode, c’est une analyse du langage qui aboutit à un galimatias rigoureusement ordonné. Le chapitre consacré à l’essence est un modèle du genre. L’auteur semble d’ailleurs avoir désespéré de se faire comprendre, car il a finalement rédigé des résumés aide-mémoire de son livre que l’élève devra apprendre par cœur. La néo-scolastique recommence l’évolution de l’ancienne. Il y a de l’espoir.

Dieu, son existence et sa nature. Solution thomiste des Antinomies gnostiques, par le P. Garrigou-Lagrange, 1 vol. in-8o de 872 p., 3e édit., Paris, Beauchesne, 1920. — Cette troisième édition diffère peu des précédentes. Des citations de saint Thomas ont été ajoutées. « La rédaction de plusieurs pages a été modifiée surtout pour expliquer plus clairement ce qu’est la cause propre des effets individuels et transitoires et celle des effets universels et permanents, pour mieux déterminer ce qu’est l’acte libre en Dieu, et pour préciser la démonstration de la possibilité du miracle. » Le corps de l’ouvrage reste donc ce qu’il était et poursuit la démonstration de l’inévitable alternative : le vrai Dieu ou l’absurdité radicale. Il va sans dire que, Dieu se démontrant par la causalité, l’auteur ramène le principe de causalité au principe d’identité, pour nous contraindre à opter entre Dieu et l’absurde. Sa réduction se fonde sur le sophisme classique par lequel on conclut de la définition verbale du contingent à l’existence réelle du nécessaire.

Berkeley. La Siris, trad. française, par G. Beaulavon et D. Parodi, 1 vol. in-16 de VIII-159 p., Paris (Les classiques de la philosophie), A. Colin, 1920. — Cette traduction de la Siris est de tous points excellente. Elle sera bien accueillie de ceux mêmes qui connaissent l’anglais et qui trouveront avec plaisir au bas de ses pages l’explication des nombreux termes de chimie, ou de médecine anciennes employés par Berkeley ; ces définitions sont généralement empruntées à Littré. Les modifications subies par le texte au cours de ses diverses éditions sont également signalées, et le texte de Frazer est même rectifié à l’occasion. Le seul regret à exprimer concernerait l’absence de renseignements sur les nombreux personnages dont Berkeley cite les noms. Il semble qu’il eût été possible de combler cette lacune sans sortir du cadre de l’excellente « Collection des classiques de la philosophie » dans laquelle ce travail très soigné figurera avec honneur.

Lucrèce. De la Nature, texte établi et traduit par A. Ernout, 2 vol. in-16 de XXVII-132, et 200 p. Les Belles-Lettres (Collection des universités de France), Paris, 1920. — Les deux premiers volumes du Lucrèce de M. Ernout contiennent le texte complet du De natura rerum accompagné de sa traduction. Le commentaire philologique et philosophique sera publié à part. Rappelons d’ailleurs que, dès à présent, on dispose du commentaire pour le livre IV, publié dans la Revue de philologie (avril — juillet, 1915). Tous les philosophes qui se sont battus avec les difficultés du De natura rerum savent ce que peut représenter d’efforts une traduction intégrale de Lucrèce. Le traducteur avait le choix entre deux méthodes : ou bien ne pas se compromettre et chercher une de ces traductions dont la fidélité tient à leur dérobade perpétuelle devant les difficultés ; ou bien viser constamment à tirer du texte un sens défini, au risque de donner prise à la discussion et à la critique. M. Ernout a pris ce dernier parti, et il faut l’en remercier. Sa traduction est extrêmement ferme, nette et courageuse ; elle cherche moins une fidélité littérale, aisée à atteindre, que la mise en évidence du sens et de la pensée. C’est une traduction qui fait comprendre. C’est dire qu’elle rendra à tous, et spécialement aux philosophes, les plus signalés services. Il va sans dire qu’elle soulève des questions et pose des problèmes ; mais il serait prématuré de les discuter sans avoir sous les yeux le commentaire qui doit la compléter, et nous avons d’ailleurs expérimenté, sur nous et sur d’autres, que l’on revient souvent à l’interprétation