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nous détournons les yeux. Le phénomène que nous appelons couleur rouge, dira-t-il, est en dehors de nous une ondulation de l’éther d’une certaine amplitude; en elle-même cette ondulation n’a rien de rouge ni même de lumineux: c’est ce qui fait qu’elle est susceptible de faire naître en nous des sensations diverses, par exemple, si elle frappe notre épiderme, nous la ressentirons comme chaleur. Le quid-proprium de la sensation du rouge et même de la sensation lumineuse en général nous appartient en propre et par conséquent ne persiste certainement pas dans l’objet détaché de la perception.

Que si nous insistons davantage, le physicien nous parlera sans doute de molécules, d’atomes et d’électrons, probablement de l’éther et de ses points singuliers, et, en fin de compte, l’image du monde réel qui paraissait tout d’abord si assurée se résoudra en tourbillons d’un fluide doué de qualités purement négatives selon E. du Bois Reymond ou de qualités géométriques seulement, comme le dit M. H. Poincaré, lequel fluide n’est, comme l’a déjà reconnu Helmholtz (et comme Kant l’avait du reste vu avant lui) qu’une hypostase de l’espace.

Ainsi donc, le physicien ne conserve le monde du sens commun que provisoirement, comme point de départ; dès qu’il pousse ses recherches, il le transforme et le modifie même si profondément qu’il finit par le faire évanouir.

Il est certain qu’à première vue cette opération semble présenter une grande analogie avec celle à l’aide de laquelle le philosophe, analysant les éléments de la perception, fait ressortir de son côté toute l’inconsistance de l’image que nous offre cette réalité de sens commun. Toutefois, il suffit d’examiner les choses d’un peu plus près pour constater que l’analogie dont nous venons de parler est purement apparente, que la science et la métaphysique, tout en ayant nécessairement le même point de départ, à savoir la perception, suivent des voies entièrement distinctes. On pourrait, à la vérité, considérer cette démonstration comme superflue ; qui donc a jamais prétendu que science et métaphysique soient une seule et même chose? Mais c’est qu’à notre avis cette confusion qui paraît impossible à la pensée consciente, on la commet inconsciemment. C’est cette méprise, c’est le sentiment d’une analogie entre les deux méthodes, analogie implicitement postulée, qui nous semble être au fond de cette affirmation, que la science n’a pas pour base le réalisme naïf et qu’elle peut même aisément