Page:Revue de métaphysique et de morale, année 16, numéro 6, 1908.djvu/115

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son abondance même rend impossible, fût-ce à l’homme le mieux informé, de se tenir au courant de tout ce qui se fait. Personne, pas même le spécialiste (s’il peut en être en philosophie), ne saurait être sûr de ne pas réinventer péniblement ce qui a déjà été dit dans une autre langue, et peut-être dans la sienne propre. Les mêmes idées apparaissent sous des formes un peu différentes, qui les rendent longtemps méconnaissables, ou dont les opposition superficielles occupent toute l’attention, au détriment des concordances réelles. Les questions sont sans cesse reprises à pied d’œuvre, comme si rien n’avait été fait ; les idées nouvelles, au lieu de se greffer sur les vérités anciennes, de les compléter et de se compléter entre elles, se heurtent, au moins en apparence, et paraissent se détruire l’une l’autre en soulevant des nuages de poussière. Aussi la mauvaise réputation que se sont faite les philosophes auprès des savants n’est-elle pas en décroissance ; et ce n’est pas une des moindres raisons qui ont décidé ces derniers à philosopher eux-mêmes, sans craindre d’être incompétents dans une matière où l’acquis, l’entente, et par suite la compétence sont encore à l’état rudimentaire, sauf peut-être sur les questions historiques.

Si, comme le disent hardiment quelques philosophes, la philosophie n’est qu’un sport d’invention ingénieuse et d’habile discussion, ou bien, comme d’autres le veulent, un effort purement individuel de coordination intérieure propre à chaque tête pensante, tout est pour le mieux, et les choses n’ont qu’à rester ce qu’elles sont. Mais alors, à quoi bon des Congrès de philosophie ? Et surtout à quoi bon un enseignement philosophique ?

Si l’on admet au contraire — et je parlerai seulement pour ceux qui l’admettent — que toute recherche normale doit aboutir à une affirmation et que toute vraie question doit disparaitre tôt ou tard devant une réponse commune à tous ceux qui savent, il faut mettre en première ligne, parmi nos devoirs, celui de ne faire que du travail utile, c’est-à-dire donnant des résultats précis, additifs, et communicables. Il serait absurde de prétendre qu’on n’y puisse arriver que d’une seule manière, et j’en vois dès à présent plusieurs autres, qui me sembleraient assez efficaces, outre celle dont je parlais un peu plus haut. Je ne présente donc ceci que comme l’indication d’une méthode de travail collectif : l’efficacité pourrait sans doute en être accrue ; mais elle se montre déjà notable dans ses premières applications.