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jadis un développement digne de Bernardin de Saint-Pierre. Et nous savons par le Traité de Cornutus à quel point avait été poussée dans l’École la méthode des symboles et des allégories. C’est cette méthode que Philon d’Alexandrie avait empruntée au syncrétisme hellénico-égyptien pour la tourner au profit de la Bible et qui, par suite, est devenue classique dans la spéculation religieuse de l’Occident.

Or, l’expérience a mis en relief les dangers que comporte cette façon d’entendre les rapports de la philosophie et de la religion. Quand ils escomptent l’autorité d’une certaine métaphysique pour déterminer les cadres intellectuels dans lesquels va être appelée à entrer la lettre de la révélation divine, les théologiens s’exposent à créer une solidarité ruineuse entre des croyances qui tirent leur valeur de leur origine transcendante et des formules qui sont naturellement livrées à la dispute des hommes. La cause de la religion, si elle ne doit pas être compromise, ne doit donc pas être défendue sur le terrain de la pensée profane. Aristote ne fait rien ni pour ni contre l’Évangile, pas plus qu’il ne témoigne pour ou contre la Bible, pour ou contre le Coran. On serait même en droit de dire qu’il ne peut rien pour lui-même : sa logique et sa physique, lorsqu’on prétend y trouver un appui pour l’édifice d’une ontologie, succombent sous l’évidence de la pétition des principes qu’elles invoquent. Et il n’y a pas de système de métaphysique qui n’apparaisse logé à la même enseigne. Une religion doit se construire radicalement d’elle-même sans rien demander à la sagesse du monde que saint Paul a condamnée ; de saint Augustin à Luther, de Pascal à Kierkegaard ou à Karl Barth, cette condamnation est à la base même de tous les mouvements qui renouvellent et vivifient l’élan de la foi chrétienne.

Mais une difficulté naît de là, qui fait le caractère éminemment dramatique de l’interprétation du christianisme chez les théologiens que nous venons de rappeler. Ils se sont appuyés au scepticisme philosophique pour revendiquer l’autonomie complète de leur vision religieuse. Il est à craindre que le scepticisme n’use de ce crédit pour le retourner contre ceux-là mêmes qui le lui ont reconnu. Nulle religion ne peut ignorer qu’il y a des religions. Or, du moment qu’il n’est permis d’apporter en faveur de privilège d’une confession déterminée que des preuves extrinsèques — témoignages scripturaires ou phénomènes surnaturels —