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Maine de Biran, qui étudie la mémoire en fonction des signes, ne reconnaît qu’une mémoire digne de ce nom, celle où « la rappel du signe est accompagné ou suivi immédiatement de l’apparition claire d’une idée bien circonscrite » : c’est « la mémoire représentative ». Il ne laisse pas, pourtant, de reconnaître deux autres sortes de mémoire qu’il caractérise ainsi

Si les signes sont absolument vides d’idées ou séparés de tout effet représentatif, le rappel n’est qu’une répétition simple de mouvements : j’en nommerai la faculté mémoire mécanique.

Le signe exprime-t-il une modification affective, un sentiment ou encore une image fantastique quelconque, un concept vague, incertain, qui ne puisse être ramené aux impressions des sens (source commune de toute idée, de toute notion réelle) et qui, par là même, jouisse d’une propriété plus excitative, le rappel du signe, considéré sous ce dernier rapport, appartiendra à la mémoire sensitive.

La mémoire sensitive, c’est ce qu’on appelle aujourd’hui la mémoire affective. Quoique Maine de Biran ne l’ait étudiée que pour montrer ce qui lui manque, quoiqu’il n’ait voulu faire que son procès, il n’en a pas moins trouvé des termes justes et souvent heureux pour la définir et marquer son rôle ; dans son réquisitoire, l’esprit d’analyse ne l’a point abandonné.

Il remarque d’abord que, si éloignée qu’elle soit de la « mémoire mécanique », la « mémoire sensitive » ne l’est pas au point de ne pouvoir la rejoindre, et même en sortir.

Du rappel d’un mot tout à fait vide d’idées au rappel d’un autre mot, accompagné d’un je ne sais quoi, qui n’est pas idée, mais qui est quelque chose de plus qu’un son, qu’un simple mouvement, la différence doit être souvent insensible, surtout si ce je ne sais quoi disparaît dans la rapidité de l’articulation et ne laisse pas plus de traces dans la pensée que le souffle échappé des lèvres.

On se prête, en effet, à la duperie des mots plutôt que de les supposer vides de sens, on leur attribue gratuitement au moins un minimum de sens qu’on n’a garde d’approfondir, sur lequel on glisse. C’est un psittacisme réel, mais inavoué.

Mais les mots vides de sens ne sont pas pour autant dénués de tout pouvoir émotif ; quand ils sont sans valeur représentative, ils ne laissent pas d’avoir une valeur affective, et souvent fort grande, pour ne pas dire d’autant plus grande. Car le sentiment est distinct, voire indépendant de l’idée ; il pourra donc être évoqué directement, non à la suite et par l’intermédiaire des idées, et si Les sentiments ont leurs signes mnémoniques, non seulement ces signes ne seront pas tenus d’être représentatifs, mais encore ils