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dans les Lois, par conférer à des imaginations délibérément anthropocentriques la rigidité de dogmes que les magistrats, armés des sanctions les plus sévères, devront inculquer d’autorité à la conscience des citoyens.

Ainsi le platonisme contient en lui les deux conceptions qui devaient, dans le cours de l’histoire, se contrarier et s’entremêler : selon celle-ci, la vie religieuse cherche un appui dans le crédit social de la tradition ; elle accepte de bon cœur les règles d’une discipline formelle, les cadres d’une hiérarchie constituée selon celle-là, au contraire, son essence est de faire effort pour se dégager de la lettre et du symbole, pour satisfaire du plus près aux exigences de l’idéal intérieur. L’une et l’autre conception se taxeront mutuellement d’utopistes ; mais ce qui serait la pire utopie, en-tout cas le péché contre l’esprit, ce serait de laisser les plans se brouiller au risque de manquer inévitablement les deux buts à la fois.

Pas plus que Platon, Kant n’avait d’illusions sur la disposition naturelle de l’homme à l’égard de la moralité ; il a poussé le pessimisme jusqu’à inclure la nécessité de la guerre dans les conditions du développement de l’espèce. Mais la grandeur de l’homme est de briser la fatalité de la nature quand la voix sainte de la justice s’est fait entendre. C’est pourquoi, surmontant un penchant trop légitime à la misanthropie, Kant a prescrit à son génie la tâche de rédiger, sans complaisance et sans compromission, le Code d’honneur international qui consacrerait parmi les peuples l’avènement de la paix perpétuelle, celui-là même que notre génération a réussi enfin à commencer de traduire dans la réalité des faits. Si partielle et si précaire que soit encore l’assise de l’institution de Genève, elle marque un progrès de la conscience universelle auquel la postérité de Kant ne saurait demeurer indifférente. Pour peu que nous ayons le courage de regarder en nous et autour de nous, ne nous apparaît-il pas que c’est ici le lieu, et aujourd’hui le moment, d’invoquer un tel exemple, de nous demander solennellement si l’impératif de la conscience religieuse n’est pas de franchir, sans crainte mauvaise et sans arrière-pensée, la zone des passions qui exaltent mais qui enfièvrent, qui obscurcissent et qui séparent, de rendre, à la poussière du temps ce qu’il nous a légué d’atteintes manifestes à la charité humaine, les accusations atroces, invérifiables et, d’ailleurs, perpétuellement réci-