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tualité parfaite, sans aucun rapport, par conséquent, avec les formes extérieures qui le rendraient, ne fût-ce qu’en apparence, dépendant des conditions d’espace et de temps, qui feraient ainsi retomber la pensée religieuse de la sphère de l’esprit dans les régions subalternes de la matière ou de la vie. Or, cette proposition nouvelle s’offre sous un aspect négatif, ou tout au moins restrictif, qui soulève un problème. Par rapport à l’instinct essentiel qui a présidé à la naissance des religions, le rationalisme ascétique d’un Verbe qui est selon l’esprit et la vérité, non selon la lettre et la chair, est quelque chose de déficient et d’incomplet, tandis qu’en réalité, du point de vue de la philosophie pure, il traduit le progrès qui s’accomplit d’un type spontané, primaire, de religion à un type plus élevé — disons, pour préciser, de la religion de la nature sublimée à la religion de la nature surmontée.

La première dérive d’une expérience constante, impuissance de notre volonté à réaliser sûrement ses fins, obstacles imprévisibles auxquels se heurte parfois l’entreprise la mieux combinée, catastrophes soudaines, mort inévitable. L’homme en est arrivé à rêver d’une finalité supérieure qui s’exercerait tantôt à l’encontre, tantôt en faveur, de notre désir personnel. Cette finalité diffuse à travers le monde prend corps dans la psychologie d’un être transcendant et tout puissant, d’un Dieu qui inspire la crainte, sans doute, mais qui, à cause de cela même, devient un foyer d’espérance. Nous mettrons tout en œuvre pour fléchir sa colère et mériter sa grâce. Par les moyens surnaturels dont il dis, pose, il nous apportera le succès ; ou, du moins, nous avons confiance que dans le temps d’immortalité qui, suivant la croyance commune, succède à la durée de la vie, il nous vaudra l’heureuse compensation de nos échecs et de nos souffrances. Le renoncement qu’impliquent la mortification d’un Pascal et le rigorisme d’un Kant n’est donc qu’une attitude provisoire, acceptée et transfigurée par l’attente d’une éternité posthume où nous jouirons de la quiétude qui nous est refusée ici-bas.

Dans une telle conception Dieu est défini par rapport aux hommes, agent providentiel qui est disposé à veiller, non seulement sur les destinées de notre planète, mais sur les intérêts de chaque personne, source vitale de réconfort précieux et de consolation. Un tel Dieu est parfaitement adapté aux vicissitudes et aux buts de la condition humaine. Or ne semble-t-il pas qu’il le