est bon, et notamment la crainte est bonne ; et, puisque la crainte est une tristesse, la tristesse peut être bonne, et le moraliste se garde bien de détourner l’homme de la tristesse. Pascal n’estime que ceux qui gémissent.
Au temps présent, encore que Pascal soit très lu et très admiré, le plus grand nombre des esprits cultivés ont pourtant retrouvé quelque lueur de saine raison, jusqu’à aimer, tout au moins, la joie chez les autres ; beaucoup ne sont pas encore arrivés jusqu’à aimer la joie en eux-mêmes ; ils sont inquiets tant qu’ils n’ont pas d’inquiétude, et ne se rassurent que s’ils traversent quelque crise de tristesse et de découragement de laquelle ils croient sortir comme purifiés. Cela prouve qu’ils n’ont pas confiance en Dieu, autrement dit qu’ils n’ont pas appris à connaître comment tout dépend nécessairement de la nature infinie de Dieu, c’est-à-dire d’une raison éternelle qui ne peut absolument ni se tromper ni nous tromper.
Lorsqu’ils disent que la tristesse est bonne, c’est comme s’ils disaient que nous sommes avertis par la tristesse même que nous sommes devenus plus parfaits ; c’est comme s’ils disaient que nous souffrons à cause que nous existons plus et mieux. En quoi ils offensent gravement, si l’on peut ainsi parler par images, la Raison éternelle. Ils doivent savoir en effet que, dans la plupart des cas, lorsqu’ils ont éprouvé une douleur dans une partie de leur corps, ils ont appris par eux-mêmes ou ont appris des médecins que cette partie de leur corps existait moins et moins bien qu’auparavant, c’est-à-dire que les petits mouvements qui fortifient ou réparent cette partie ne se faisaient pas comme ils auraient dû, mais au contraire étaient contrariés ou empêchés. De même, toutes les fois qu’ils ont éprouvé une tristesse accompagnée de l’idée d’une cause, ils ont pu se rendre compte que cette tristesse résultait de ce qu’ils croyaient, à tort ou à raison, que leur puissance d’agir était diminuée ou contrariée. Que la tristesse de l’ambitieux, de l’amoureux et de l’avare résulte bien de telles idées, et qu’inversement leur joie résulte au contraire de ce qu’ils se considèrent comme plus puissants, c’est ce qu’il est inutile d’expliquer plus au long. Dans tous ces cas-là, leur joie et leur tristesse les conseillaient toujours au moins aussi bien que leur propre jugement et souvent même beaucoup mieux.
Que les hommes qui sont fiers de leur tristesse et qui se défient de leur joie veuillent bien considérer maintenant, — toutes choses