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E. CHARTIER. — sur la mémoire.

Nous ne pensons que lorsque nous nous appliquons à relier toute idée à toutes les autres, l’objet n’étant pour nous qu’une occasion de revenir sur nos idées et de chercher comment elles sont faites. La réalité ne devient vérité que si elle réforme et secoue les erreurs vivantes que nous traînons ; c’est par là, et non par les soins du médecin, que l’enfant est vraiment conduit à l’âge d’homme. C’est pourquoi il faut ne rien laisser en dehors de notre moi de ce qui peut en nous penser et agir, et comprendre qu’il est bien inutile de marcher vite, si l’on se laisse soi-même sur le chemin.

Conclusion.

Cette étude sur la Mémoire, si incomplète qu’elle soit, ne sera pourtant pas inutile, si elle aide le lecteur à comprendre ce que c’est, pour une Philosophie de l’Esprit, que le corps organisé, comment il peut agir sur la pensée, et comment la pensée peut agir sur lui. La Mémoire est liée intimement aux fonctions du corps, mais elle dépend non moins visiblement des principes généraux qui régissent toute pensée et toute recherche. L’analyse des conditions de la Mémoire est donc plus propre que toute autre à nous faire comprendre comment l’Esprit s’unit à la Nature, c’est-à-dire comment un Esprit se représente son imperfection et sa dépendance sous la forme d’un corps vivant.

Le Corps et l’Esprit ne sont pas deux natures distinctes, mais une seule et même nature considérée à des points de vue différents ; il y a donc entre la Physiologie et la Philosophie de l’Esprit, non pas une différence d’objet, mais une différence de méthode. Pour le Physiologiste l’intelligence ne peut pas être autre chose que cette propriété que possède tout corps vivant d’effectuer des mouvements utiles à la conservation de la vie. À ce point de vue la Mémoire est une propriété de la cellule vivante ; le vrai nom de la Mémoire, c’est l’adaptation. Pour le Philosophe au contraire, tout ce qui est est un mode de la Pensée ; il n’admet pas plus la Matière que le Physiologiste n’admet l’Esprit. Le Psychologue cherche en vain à s’établir dans une région intermédiaire pour y coudre des bribes d’idées à des lobes de cerveau : on ne peut parler en même temps deux langages, ni poser et nier en même temps les mêmes principes. Si la Psychologie veut être quelque chose, qu’elle soit un chapitre de la Physiologie ou une Philosophie de l’Esprit.