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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

est également indestructible et continue. Les deux affirmations ne sauraient donc un seul moment cesser d’être présentes, et, par suite, la pensée que nous considérons ne trouvera, dans sa nature ainsi constituée, pas plus de raison pour affirmer l’une que pour affirmer l’autre. Tout se passe donc comme si ces deux habitudes se détruisaient l’une par l’autre. Vienne maintenant pour cette pensée l’occasion, fournie par quelque événement, d’affirmer que l’homme est mortel : cette nouvelle affirmation, désormais indestructible, constitue une nouvelle habitude, ce qui veut dire que la pensée contient maintenant en elle une raison implicite d’affirmer que l’homme est mortel. C’est ce que l’observateur traduira ainsi : la répétition de la première affirmation a donné à l’habitude, une puissance que la première affirmation n’avait pas suffi à lui donner.

Il est clair que nous simplifions beaucoup l’influence des affirmations les unes sur les autres en considérant deux affirmations exactement opposées l’une à l’autre : il n’y a point dans la pensée réelle de telles affirmations. Nulle affirmation n’est en effet simple ni primitive. L’affirmation que l’homme est mortel peut s’appuyer par exemple sur des raisons d’un certain ordre, c’est-à-dire impliquer d’autres affirmations, comme : l’homme a eu un commencement, l’homme est matériel ; tandis que l’affirmation opposée peut impliquer d’autres affirmations qui ne soient pas toutes opposées aux premières, comme : l’homme est immatériel ; la justice exige une vie future. Si nous unissons l’un à l’autre les deux groupes d’affirmations, il est clair que l’affirmation : l’homme est matériel sera comme annulée par l’affirmation contraire, tandis que les deux autres affirmations : l’homme a eu un commencement, et : la justice exige une vie future, continueront à se manifester soit explicitement soit par leurs effets.

Il reste donc vrai que la répétition d’un acte peut arriver à constituer une habitude qui sans cela n’aurait jamais existé ; mais il ne faut pas conclure de là que l’habitude puisse posséder une puissance variable, différente de son existence même. Sans doute il y a dans notre vie pensante une certaine constance ; cela résulte de ce que nous ne revenons pas souvent aux mêmes idées, et que nous sommes occupés à en former de nouvelles à la suite de nos perceptions ; par exemple les préjugés religieux gardent toute leur force, et sont affirmés indéfiniment, si l’on ne pense que rarement à la religion ; seulement ils peuvent être contenus et comprimés par des préjugés