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E. CHARTIER. — sur la mémoire.

qui a permis de mesurer très exactement le temps. Ce qu’il importe de remarquer, c’est que toutes les expériences que l’on peut faire sur les mouvements isochrones ne sont que des vérifications d’une idée. L’égalité de deux grandeurs quelconques ne peut jamais être constatée ; il n’existe aucun moyen de s’assurer que deux grandeurs réelles sont rigoureusement égales : l’égalité est une idée et non un fait ; elle ne se constate pas, elle se définit.

On voit maintenant l’origine de l’idée d’une suite d’heures, de semaines, de mois et d’années, que nous avons présente à l’esprit lorsque nous pensons au temps ; et c’est là ce qui rend l’analyse de l’idée de temps particulièrement délicate, attendu qu’il n’y a aucun rapport naturel entre les divisions d’un cadran, d’un calendrier ou d’une chronologie, et le temps véritable, qui n’est rien autre chose qu’une conception de notre esprit. Il n’y a de temps et il ne saurait y avoir de temps qu’en nous et pour nous. Hors de nous il y a seulement des mouvements dont le commencement et la fin coïncident ; le temps objectif n’est pas le temps, mais un symbole du temps.

C’est par la distinction du temps objectif et du temps réel que l’on peut expliquer certaines anomalies souvent signalées. Par exemple, quand nous agissons, nous disons que le temps nous paraît court ; lorsque nous sommes oisifs, nous disons au contraire que le temps nous parait long ; pourtant, dans nos souvenirs, c’est le contraire qui a lieu : le temps pendant lequel nous avons agi nous paraîtra très long ; le temps que nous avons perdu nous paraîtra très court. En général, le temps qui passe le plus vite est celui qui occupe le plus de place dans nos souvenirs. C’est que, quand nous agissons, nous ne pensons pas au temps, parce que penser au temps c’est réfléchir ; aussi, quand nous constatons que le temps objectif, mesuré par l’horloge, a passé, nous disons qu’il a passé à notre insu. Mais lorsque nous réfléchissons, lorsque nous organisons nos souvenirs, ce même temps nous apparaît comme très long, à cause de l’abondance et de la variété des souvenirs qui le remplissent. Au contraire, si l’on est oisif, on pense au temps objectif, et ce même temps, qui paraît alors si long, ne sera dans le souvenir qu’une abstraction vide.

Quelles que soient les difficultés d’un problème qui, comme tout problème, ne saurait être traité d’abord dans toute sa complexité, il reste vrai que les événements ne peuvent pas s’organiser d’eux-