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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

méprisable lorsqu’il comparait les vérités nécessaires que l’on retrouve en soi-même à des souvenirs dont l’origine reste incertaine. Il nous apparaît, en effet clairement que nous n’avons jamais cessé de les avoir, et qu’ainsi elles ont duré, pendant que les choses passaient. Les idées nécessaires seraient ainsi, à parler exactement, des souvenirs parfaits, c’est-à-dire dont la conservation n’aurait jamais commencé.

Disons donc qu’il ne saurait y avoir de conservation là où il n’y a point de pensée, c’est-à-dire d’affirmation de quelque chose comme vrai. Sur quoi beaucoup d’esprits réfléchis ne manqueront point de triompher, alléguant qu’il y a souvenir des perceptions, lesquelles n’impliquent nullement l’affirmation de quelque chose comme vrai. Mais il est facile de maintenir qu’une perception ne peut pas exister sans un acte de pensée qui déjà la conserve, en affirmant que les parties de l’objet perçu ne cessent pas d’exister parce qu’elles cessent d’être présentes. Percevoir c’est toujours et nécessairement affirmer la permanence d’une multiplicité dont les éléments sont connus successivement, sans quoi notre connaissance des choses se bornerait à chaque instant à un point. Si la connaissance du point A était absente lorsque nous connaissons le point B, la connaissance de la ligne AB nous serait entièrement impossible. Ainsi, dans la connaissance, pourtant rudimentaire et purement instinctive, de plusieurs points existant simultanément, il y a déjà la conservation et la mémoire. Nous voyons par là que la mémoire n’est pas dans notre vie pensante quelque chose d’accidentel, mais bien une condition nécessaire de notre pensée à tous ses degrés ; car si ce qui est connu à un moment ne l’était plus au moment où nous connaissons autre chose, tous les moments de notre vie en seraient à la fois le commencement et la fin ; elle ne consisterait même pas en des fragments de rêves, mais en une suite d’existences séparées dont chacune aurait une durée infiniment petite. Une pensée n’existe pour elle, c’est-à-dire n’est une pensée que parce qu’elle s’incorpore comme vérités permanentes, comme jugements éternels, les faits qui s’écoulent : l’idée du vrai est le soutien, et le seul soutien possible de toute conscience.

Donc nous conservons parce que nous nous conservons ; et nous nous conservons parce que nous sommes attachés à l’être, à l’être, c’est-à-dire au vrai. S’il y a quelque condition ultime de la conscience, ce ne peut être qu’un sentiment qui nous attache à ce qui dure, et