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E. CHARTIER. — sur la mémoire.

ordre inverse de l’ordre vrai, car il est impossible d’hériter d’un parent avant qu’il soit mort.

Il s’en faut que tous les événements auxquels nous venons à penser se présentent ainsi au premier regard suivant un ordre vrai. Par exemple les images d’une place et d’une cathédrale qui sont contiguës ne se rangent point en général suivant l’ordre du temps, car il n’y a pas de raison pour que l’une soit avant l’autre. Aussi dira-t-on de ces deux images qu’elles sont localisées dans l’espace, mais non pas dans le temps. Il en est de même à première vue de deux rues de Paris, par exemple la rue de la Sorbonne et la rue Montmartre ; mais l’acte de préparer un examen rue Montmartre et l’acte de le passer avec succès rue de la Sorbonne sont facilement rangés suivant l’ordre du temps ; il serait absurde en effet que l’acte de préparer un examen fût postérieur à l’acte d’en subir l’épreuve avec succès.

Il n’est pas nécessaire que toutes les images évoquées se précèdent et se suivent ainsi nécessairement les unes les autres ; il suffit, pour que l’idée du temps se forme, que cela soit vrai de quelques-unes d’entre elles ; et il est clair que nos actions réfléchies sont plus propres que toute autre chose à nous mettre ainsi en possession de l’ordre irréversible du temps. En effet toute action volontaire suppose la conception de quelque chose comme à venir, par exemple le fait d’être médecin ; il est donc bien clair que l’image de vouloir être médecin, qui implique qu’on ne l’est pas, précède nécessairement l’image d’être médecin et qu’il serait absurde qu’il en fût autrement. Lorsque deux souvenirs se présentent et que l’un d’eux enferme la volonté de l’autre, celui qui renferme la volonté de l’autre est nécessairement antérieur à l’autre. Il résulte de là que l’ordre du temps est essentiellement constitué par le souvenir de nos actes et de leur réalisation ; ainsi nous ne retrouvons dans nos souvenirs que l’ordre que nous y avons mis en les vivant : le temps naturel n’existe que pour un être qui veut.

Le temps étant ainsi déterminé quant à ses conditions, nous sommes en mesure d’examiner les rapports du temps et de l’espace, question devant laquelle ceux qui traitent de ces choses sont généralement impuissants, faute d’avoir d’abord recherché les conditions nécessaires de l’idée de temps. Le Temps et l’espace se tiennent étroitement ; le vulgaire dit aussi bien « un espace de temps » qu’« une heure de chemin » ; l’espace et le temps supposent toujours