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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

pensée d’un cheval ailé implique la pensée plus ou moins explicite d’une infinité de conditions qui font qu’un tel être est au moins conçu comme possible, par exemple des muscles qui meuvent les ailes et s’attachent sur le thorax, des os, des articulations, etc. Sans doute beaucoup de gens penseront à un cheval ailé, sans penser à tout cela ou à autre chose, mais il n’en est pas moins vrai que l’idée du cheval ailé ne peut exister que par beaucoup d’autres, et qu’elle sera incomplète dans la mesure où ces autres idées n’auront pas été rendues explicites par un effort de réflexion. La précision et la netteté des idées de ce genre dépendent de l’énergie que l’être pensant qui les forme apporte à s’expliquer en général ses propres idées, mais rien n’est jamais conçu par personne comme absolument impossible.

Considérons maintenant l’idée d’une chose conçue comme réelle. L’idée de la réalité, c’est l’idée de l’union de ce qui est perçu à ce qui l’a été et à ce qui le sera. Ce qui distingue la réalité du rêve, c’est une permanence relative des rapports de position qui existent entre les choses que je connais, c’est l’ordre auquel je suis obligé de me conformer si je veux les percevoir. La réalité d’une image ne peut donc m’être garantie que par un ordre fixe entre des images parmi lesquelles elle est connue. Par suite, lorsque je me représente une chose comme réelle, il faut bien que je me représente plus ou moins explicitement un ordre fixe entre les images qui l’entourent dans le monde réel. Par exemple, si je me représente le Panthéon avec l’idée que le Panthéon est réel, il faut de toute nécessité que je me représente implicitement que le Panthéon a une place déterminée dans le monde réel, c’est-à-dire qu’il occupe telle position par rapport à d’autres images. Donc, si j’analyse l’idée du Panthéon conçu comme réel, j’y trouverai nécessairement l’idée de l’École de droit, du lycée Henri IV, de la rue Soufflot, de Paris, de la France, du monde entier. Séparée de ce système d’images, l’image du Panthéon n’est plus l’image d’un objet réel. Donc, ou bien je n’aurai jamais l’idée qu’une chose à quoi je pense est réelle, ou bien mon idée de cette chose impliquera celles des choses qui lui sont contiguës dans le monde réel. Ce n’est donc point par hasard, ni en vertu de lois mécaniques et aveugles, qu’une image évoque d’autres images qui lui sont contiguës dans le monde réel. Que deux choses soient contiguës dans la perception, voilà qui est l’œuvre d’une cause inconnue ou, si l’on veut, du hasard ; mais que ces deux images se retrouvent conti-