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E. CHARTIER. — sur la mémoire.

je n’aurais pas même l’idée de nombre. En général, l’idée d’une grandeur quelconque implique nécessairement l’idée de quelque grandeur qui la compose et de quelque grandeur qui la dépasse ; et c’est par là qu’on voit bien que l’idée de telle grandeur est autre chose que cette grandeur même, et la pensée autre chose que l’objet ; car dans une grandeur il ne peut y avoir une grandeur qui la dépasse, tandis que dans l’idée de cette grandeur l’idée du plus grand et du plus petit sont nécessairement enfermés, comme ses éléments nécessaires. Nous pouvons donc dire : l’idée d’une chose conçue comme une pluralité implique nécessairement l’idée d’une chose qui est une totalité par rapport à cette pluralité ; d’où l’on tire cette deuxième loi de l’évocation : l’effort de la pensée appliquée à l’idée d’une chose quelconque limitée en grandeur, y découvre nécessairement l’idée d’une grandeur qui la dépasse, et dont elle est une partie.

Enfin toute chose peut être conçue comme une unité, c’est-à-dire comme une totalité réellement indivisible : c’est de l’idée d’unité que résulte l’idée de grandeur discontinue, obtenue par la réunion de choses que l’on suppose égales et indivisibles. Or cette idée d’unité n’a de sens que par opposition avec l’idée de multiplicité, puisqu’elle est la négation même de la multiplicité. On n’a pas l’idée d’un centimètre, d’un mouton, sous la catégorie de la quantité, sans avoir implicitement en même temps l’idée d’un nombre indéfini de centimètres pouvant former avec le premier une longueur, l’idée d’une multiplicité indéfinie de moutons pouvant former avec le premier une quantité. L’idée d’une unité implique donc l’idée d’une multiplicité d’unités considérées comme égales à celle-là. D’où l’on tire cette troisième loi de l’évocation : l’effort de la pensée, appliqué à une chose conçue comme une unité, ne peut manquer d’y découvrir les idées d’autres unités pouvant former une grandeur avec elle.

Les trois lois qui précèdent peuvent se résumer de la manière suivante : l’idée d’une chose quelconque, considérée comme une quantité, évoque nécessairement les idées de choses qui y sont contenues, qui la contiennent, ou qui lui sont égales en grandeur.


Qualité.

Connaître un être comme déterminé par des qualités indépendantes de sa grandeur, c’est toujours ou affirmer ou nier ou affirmer une négation, car il faut toujours bien que l’objet auquel je pense