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E. CHARTIER. — sur la mémoire.

l’on ne s’arrêtera jamais, car il n’y a point d’idée qui n’en suppose d’autres dont elle est faite, et sans lesquelles elle ne serait point : toute idée en contient d’autres, et, au fond, les contient toutes.

Disons donc que passer d’une idée à une autre c’est découvrir que l’on ne peut penser la première sans penser en même temps la seconde, c’est s’apercevoir qu’on pensait déjà la seconde sans savoir qu’on la pensait. Les idées ne s’évoquent point les unes les autres comme les grains d’un chapelet ; mais deux idées s’évoquent lorsque l’exposition de l’une contient l’autre. On ne peut avoir une idée explicite si on ne l’a d’abord implicite, et Platon disait bien que les idées ne peuvent naître ni mourir, mais seulement être.

Il apparaît du reste, clairement que les idées peuvent s’impliquer les unes les autres, et par suite s’évoquer les unes les autres, d’une infinité de manières, suivant les jugements formulés par chacun de nous : il n’y aurait point une multiplicité de consciences distinctes sans cela. Néanmoins, puisque rien au monde ne saurait être objet de pensée qu’à la condition de pouvoir l’être, il faut bien que toute évocation soit conforme aux lois nécessaires de toute recherche et de toute pensée. Pour un ignorant l’idée d’orage implique et par suite peut évoquer l’idée d’un Dieu irrité ; pour un savant elle implique l’idée de deux fluides définis par certaines propriétés ; mais il n’échappe à personne que l’ignorant et le savant suivent le même principe en passant d’une de ces idées à l’autre : il y a moins de vérité dans une de ces liaisons d’idées que dans l’autre, mais non pas moins de raison, et l’évocation s’explique dans les deux cas par la recherche méthodique d’une pensée qui analyse ses idées et fait, en quelque sorte, l’inventaire de leur contenu.

Il résulte de cela qu’il y a juste autant d’espèces d’associations entre les idées qu’il y a de formes de la liaison d’une idée à une autre, c’est-à-dire de formes du jugement. Et, comme on ne peut traiter en même temps de tout, il est raisonnable de mettre ici à profit les travaux de Kant et le tableau élégant qu’il a tracé des catégories, au moyen de quoi nous obtiendrons tout au moins une description des associations d’idées plus complète et plus méthodique que toutes celles que l’on a fondées jusqu’ici sur les hasards de l’expérience.