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SUR LA MÉMOIRE[1]

II

L’ÉVOCATION.

Nous appelons évocation l’acte par lequel nous prenons conscience d’une pensée que nous avions auparavant à notre insu. Cette définition n’implique pas du tout que l’évocation soit quelque chose de capricieux et de machinal ; au contraire, dans la plupart des cas, c’est par une application volontaire que nous rappelons à nous ce que nous avons déjà pensé antérieurement. Il est donc raisonnable, lorsqu’une pensée se trouve évoquée sans que nous puissions rendre compte de son apparition, de supposer que la raison que nous ne pouvons découvrir existe néanmoins. C’est pourquoi nous rejetterons préalablement toute association entre les idées autre que la raison que l’acte de penser établit naturellement entre elles.

Lorsqu’on dit qu’une idée est conservée, cela ne veut point dire qu’elle soit mise de côté et en réserve, comme le trésor de l’avare ; cela veut dire au contraire qu’elle est désormais impliquée dans toutes nos pensées, comme un capital circulant qui tantôt apparaît, tantôt disparaît, mais qui ne cesse jamais de nous servir. S’il en est ainsi, l’évocation doit résulter naturellement de l’analyse de nos idées : c’est dans une idée qu’on en trouve une autre. L’idée de bateau n’est rien si elle n’implique les idées de liquide, de résistance, de mouvement, de moteur, les idées de quille, de mât, de vergue, de gouvernail, les idées de capitaine, de pilote, de marin, et beaucoup d’autres idées encore ; l’idée de marin implique les idées d’homme, d’adresse, de courage, de pension de retraite, de veuve, d’orphelins ; si de nouveau l’on cherche quelles idées sont impliquées dans ces idées-là, et ainsi de suite, il est évident que

  1. Voir numéro de janvier 1899.