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H. POINCARÉ.DES FONDEMENTS DE LA GÉOMÉTRIE.

sait ce que c’est qu’une surface, ce que c’est qu’une ligne ; on sait distinguer une courbe fermée d’une courbe non fermée ; mais on ne sait pas distinguer un segment de droite d’un arc de courbe, ni une ligne droite indéfinie d’une branche de courbe infinie dans les deux sens, ni une surface plane d’une surface courbe.

Une pareille géométrie est logiquement indépendante tant de la géométrie projective que de la géométrie métrique ; elle peut se constituer avant elles et sans elles.

Un pareil espace est amorphe, il n’est par lui-même ni euclidien, ni non-euclidien ; les mots de ligne droite, d’égalité de deux figures, de forme ou de distance n’ont encore aucun sens.

Dans cet espace, pourtant, le mouvement est possible ; seulement nous ne distinguons pas les mouvements qui conservent la forme, de ceux qui sont accompagnés de déformation, puisque nous ne savons pas encore ce que c’est que la forme.

Je puis combiner d’une foule de manières ces mouvements de façon à former des groupes de mouvements, au sens que les mathématiciens donnent à ce mot et que j’ai rappelé plus haut.

On peut démontrer qu’il existe des groupes de mouvements satisfaisant aux conditions suivantes

1o Si l’on considère deux points quelconques de l’espace, il y aura dans le groupe certains mouvements qui laisseront ces deux points immobiles ; tous ces mouvements laisseront également immobiles tous les points d’une certaine ligne que j’appellerai ligne principale relative à ce groupe. De là résulte qu’on peut par deux points quelconques mener une ligne principale relative au groupe.

2o Par trois points quelconques de l’espace passe une surface que j’appellerai surface principale relative au groupe, et qui contient tout entière la ligne principale relative au groupe que l’on peut mener par deux quelconques de ses points.

3o Il existe dans le groupe des mouvements tels que chaque point de l’espace décrive une ligne principale relative au groupe.

On démontre qu’il existe un groupe satisfaisant à ces trois conditions et même il en existé une infinité (isomorphes entre eux, diraient les mathématiciens).

D’autre part on peut démontrer qu’il existe des groupes qui satisfont aux deux premières conditions, mais pas à la troisième.

Jusqu’ici nous n’avons aucune raison de considérer un de ces groupes comme plus important que les autres. Mais l’expérience