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H. POINCARÉ.DES FONDEMENTS DE LA GÉOMÉTRIE.

Critique du Nominalisme.
§ 17.

J’arrive à la partie critique de l’ouvrage de M. Russell et je commence naturellement par analyser ce qu’il dit de la théorie que j’ai moi-même adoptée et que M. Couturat désigne sous le nom de nominalisme.

J’observerai d’abord que cette théorie, d’après laquelle les postulats sont des définitions déguisées, ne s’applique pas seulement au postulatum d’Euclide, mais à beaucoup d’autres ; c’est trop la rétrécir et la particulariser que de la faire dépendre d’une théorie mathématique très spéciale, comme est celle de Cayley et Klein.

Cela posé, je reproduis textuellement le début de l’argumentation de M. Russell (page 33, § 37) :

« Naturellement, il nous est loisible, si nous le préférons, de continuer à exclure la distance, entendue au sens ordinaire, comme la grandeur d’une ligne droite finie, et de définir le mot distance de la manière qu’il nous plaira. Mais le concept pour lequel le mot a été employé jusqu’ici réclamera alors un nouveau nom, et le seul résultat sera une confusion entre la signification apparente de nos propositions, pour ceux qui conservent les associations correspondant à l’ancien sens du mot, et la signification réelle, résultant du nouveau sens attribué au mot[1]. »

Pour faire comprendre la parfaite inanité de cette critique, je vais prendre un exemple un peu gros. Je suppose que je dise « J’ai le droit de dire qu’un triangle a quatre côtés, car personne ne peut m’empêcher de donner le nom de triangle à la figure que vous appelez quadrilatère ». Vous me répondriez « Mais vous avez tort d’appeler triangle ce que tout le monde appelle quadrilatère ». Ce conseil serait assurément fort sage, mais est-ce que cela empêcherait que cette proposition « le triangle a trois côtés » ne soit une définition et non un axiome ou un théorème ?

  1. «It is open to us, of course, if we choose, to continue to exclude distance in the ordinary sense, as the quantity of a finite straight line, and to define the word distance in any way we please. But the conception, for which the word has hitherto stood, will then require a new name, and the only result will be a confusion between the apparent meaning of our propositions, to those who retain the associations belonging to the old sense of the word, and the real meaning, resulting from the new sense in which the word is used. »