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H. POINCARÉ.DES FONDEMENTS DE LA GÉOMÉTRIE.

pres, si elles existaient, à remplir le rôle de l’espace ; mais qu’elles existent au même titre que l’espace et sont seulement rejetées comme moins commodes ; je n’accepte donc pas la thèse de Kant, mais ce n’est pas elle que je discute en ce moment ; je me borne à constater que M. Russell n’a rien prouvé contre elle.

§ 15.

La seconde proposition est vraie en un sens. Et cependant il y a encore des réserves à faire.

En géométrie métrique, M. Russell étudie les figures égales ; il a besoin d’un critérium de l’égalité, et il le trouve (§ 144) dans le mouvement, ou plutôt dans une certaine classe de mouvements comprenant les translations, les rotations et leurs combinaisons.

En géométrie projective, il étudie les figures « qualitativement équivalentes » ; n’a-t-il pas besoin aussi d’un critérium de l’équivalence qualitative ? Ce critérium ne peut être fondé que sur la considération d’une certaine classe de transformations qui n’altèrent pas cette équivalence ; ce sont ces transformations que M. Russell définit §121.

Mais toute transformation d’une figure est en un sens un mouvement, puisque, par suite de cette transformation, les divers points de cette figure changent de place.

En particulier, les transformations projectives sont des mouvements où tous les points mobiles décrivent des trajectoires rectilignes et concourantes, et avec des vitesses telles que trois points situés primitivement en ligne droite restent toujours en ligne droite. Ou bien encore ce sont des combinaisons de pareils mouvements.

Pourquoi refuserait-on à ces transformations le nom de mouvements et l’accorderait-on aux translations et aux rotations ? Je n’en vois qu’une raison : c’est qu’il existe dans la nature des corps, les corps solides, qui peuvent prendre à peu près des mouvements de translation ou de rotation ; il n’y en a pas qui se meuvent à peu près suivant la loi projective.

J’ai écrit quelque part quelque chose qui pourrait sembler en contradiction avec ce qui précède : j’ai écrit que la géométrie projective est visuelle et que la géométrie métrique est motrice. Je me plaçais là à un point de vue purement psychologique et non au point de vue logique.