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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

euclidien, seraient impossibles dans l’espace non-euclidien, de sorte que l’expérience, en constatant ces phénomènes, contredirait directement l’hypothèse non-euclidienne ? Pour moi, une pareille question ne peut se poser. À mon sens elle équivaut tout à fait à la suivante, dont l’absurdité saute aux yeux de tous : y a-t-il des longueurs que l’on peut exprimer en mètres et centimètres, mais que l’on ne saurait mesurer en toises, pieds et pouces, de sorte que l’expérience, en constatant l’existence de ces longueurs, contredirait directement cette hypothèse qu’il y a des toises partagées en six pieds ?

Examinons la question de plus près. Je suppose que la ligne droite possède dans l’espace euclidien deux propriétés quelconques que j’appellerai et  ; que dans l’espace non-euclidien elle possède encore la propriété , mais ne possède plus la propriété  ; je suppose enfin que, tant dans l’espace euclidien que dans l’espace non-euclidien, la ligne droite soit la seule ligne qui possède la propriété .

S’il en était ainsi, l’expérience pourrait être apte à décider entre l’hypothèse d’Euclide et celle de Lobatcheffsky. On constaterait que tel objet concret, accessible à l’expérience, par exemple un pinceau de rayons lumineux, possède la propriété  ; on en conclurait qu’il est rectiligne et on chercherait ensuite s’il possède ou non la propriété .

Mais il n’en est pas ainsi, il n’existe pas de propriété qui puisse, comme cette propriété , être un critère absolu permettant de reconnaître la ligne droite et de la distinguer de toute autre ligne.

Dira-t-on par exemple « cette propriété sera la suivante : la ligne droite est une ligne telle qu’une figure dont fait partie cette ligne peut se mouvoir sans que les distances mutuelles de ses points varient et de telle sorte que tous les points de cette ligne restent fixes » ?

Voilà en effet une propriété qui, dans l’espace euclidien ou non-euclidien, appartient à la droite et n’appartient qu’à elle. Mais comment reconnaîtra-t-on par expérience si elle appartient à tel ou tel objet concret ? Il faudra mesurer des distances, et comment saura-t-on que telle grandeur concrète que j’ai mesurée avec mon instrument matériel représente bien la distance abstraite ?

On n’a fait que reculer la difficulté.

En réalité la propriété que je viens d’énoncer n’est pas une propriété de la ligne droite seule, c’est une propriété de la ligne droite et de la distance. Pour qu’elle pût servir de critère absolu, il faudrait que l’on pût établir non seulement qu’elle n’appartient pas aussi à