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H. POINCARÉ.DES FONDEMENTS DE LA GÉOMÉTRIE.

Loin de moi cette pensée ; tout au contraire, j’estime que c’est à tort que M. Russell attribue le caractère empirique à d’autres axiomes, par exemple au postulatum d’Euclide.

Bien plus, le mot empirique, en pareille matière, me semble dénué de toute espèce de sens.

Qu’on me décrive une expérience à laquelle on puisse soumettre une droite abstraite, un cercle abstrait. Quel est le physicien qui a vu une droite, et avec quel instrument ? Ce qu’il a pu voir, c’est par exemple un petit pinceau de rayons lumineux ; il le regarde comme rectiligne, parce qu’il a démontré qu’il jouissait à peu près de certaines propriétés de la ligne droite ; mais comment aurait-il pu le constater s’il n’avait connu d’avance ces propriétés ? Il a fait une expérience d’optique, et non une expérience de géométrie.

Que l’on vienne à découvrir une étoile dont la parallaxe soit négative, en conclura-t-on que la géométrie est fausse ? Non, il sera beaucoup plus naturel de conclure que les rayons lumineux émanés de cette étoile ne se sont pas rigoureusement propagés en ligne droite. Je l’ai déjà dit, mais je ne craindrai pas de le répéter, tant qu’on s’obstinera à contester une vérité qui me paraît si évidente.

Est-ce par des expériences sur le mouvement des corps solides que l’on pourra démontrer les postulats fondamentaux de la Géométrie ? Qui ne sait combien les solides naturels diffèrent des solides invariables ? Comment d’expériences si grossières pourrait sortir une science dont la précision doit être infinie ?

La connaissance que nous avons des mouvements des corps solides ne peut être le fondement de la Géométrie ; elle nous a été seulement l’occasion de la fonder. Son rôle psychologique a été considérable, son rôle logique a été nul.

Rien ne m’autorise à supposer que la doctrine de M. Russell comporte une interprétation aussi grossière. Je crois que c’est autre chose qu’il a voulu dire, quelque chose de plus subtil et de plus spécieux. Mais, faute d’explications suffisantes, j’en suis réduit à des conjectures ; il faut cependant que je cherche à deviner sa pensée, parce que je crois que c’est là qu’est le nœud de la discussion, et que le désaccord qui me sépare de M. Russell est plus profond sur ce point que sur tous les autres.

§ 12.

Peut-on soutenir que certains phénomènes, possibles dans l’espace