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H. POINCARÉ.DES FONDEMENTS DE LA GÉOMÉTRIE.

Il réfute victorieusement, dans une discussion très bien conduite, les objections qu’on a dirigées contre cette façon de voir.

Tout cela est très bien, et je n’ai de réserves à faire que sur la forme de l’énoncé, qui prête à l’ambiguïté. Ce n’est pas là une vaine chicane ; car nous allons voir que, sous le couvert de cette ambiguïté, on voudra tirer de ce principe des conséquences qui n’y sont pas logiquement contenues.

Que signifient les mots sans distorsion ? Que signifie le mot formes ? La forme (shape) est-elle quelque chose que nous connaissons d’avance, ou est-ce, par définition, ce qui n’est pas altéré par les mouvements envisagés ?

Votre axiome signifie-t-il :

Pour que la mesure soit possible, il faut que les figures soient susceptibles de certains mouvements, et qu’il y ait une certaine chose qui ne sera pas altérée par ces mouvements et que nous appellerons la forme (shape) ?

Ou bien veut-il dire :

Vous savez bien ce que c’est que la forme ; eh bien ! pour que la mesure soit possible, il faut que les figures puissent subir certains mouvements qui n’altéreront pas cette forme ?

Je ne sais pas ce que M. Russell a voulu dire ; mais à mes yeux le premier sens est le seul correct. Avec ce premier énoncé, l’axiome est incontestablement a priori ; mais alors que nous enseigne-t-il ? Il ne nous enseigne qu’une seule chose, c’est que les figures doivent être libres de se mouvoir ; il ne nous apprend pas combien il y a de « degrés de liberté » (degrees of freedom).

Pourquoi est-il nécessaire que le nombre des degrés de liberté soit 6 dans l’espace à 3 dimensions et dans l’espace à dimensions ?

Pourquoi est-il nécessaire, en d’autres termes, qu’une figure soit libre de se mouvoir de telle façon qu’un point, une droite et un plan de cette figure, si cette droite passe par ce point et ce plan par cette droite, puissent venir s’appliquer sur un point quelconque de l’espace, sur une droite quelconque passant par ce point, sur un plan quelconque passant par cette droite ?

Je sais bien que M. Russell va répondre : c’est parce que, en vertu du principe de la relativité de position, un point ne diffère pas d’un autre point, ni une droite passant par un point d’une autre droite passant par ce même point.