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H. POINCARÉ.DES FONDEMENTS DE LA GÉOMÉTRIE.

ordinaire ; l’ensemble des points à l’infini forme un « plan de l’infini » qui doit être regardé comme indiscernable d’un plan ordinaire, au point de vue qualitatif.

Voilà le sens qu’il faut donner à ce premier axiome pour pouvoir en déduire la géométrie projective ; voilà certainement le sens que lui donne M. Russell. Admettons-le, sans examiner de trop près dans quelle mesure il est permis de dire que toute expérience deviendrait impossible sans cette notion de l’identité qualitative de « l’infini » et du « fini ».

Passons sur le second axiome, M. Russell ayant suffisamment insisté lui-même sur les difficultés qu’il soulève, et arrêtons-nous sur le troisième.

Deux points quelconques déterminent une droite cet énoncé est insuffisant ou trop peu précis. Le sens du mot déterminer est vague Dans un plan, les deux foyers et d’une ellipse dont le grand axe est donné « déterminent » cette ellipse, mais cette ellipse ne passe pas par les deux points qui la déterminent ainsi. Dans un plan, deux points et « déterminent » une circonférence qui est celle dont le diamètre est la droite , et cependant par deux points passent une infinité de circonférences.

L’énoncé correct serait donc le suivant : une droite est entièrement déterminée par la condition de passer par deux points ; ou plus simplement, par deux points passe une droite, et une seule.

De même au lieu de dire trois points déterminent en général un plan, il convient de dire un plan est déterminé par la condition de passer par trois points non en ligne droite, ou plus simplement par trois points non en ligne droite passe un plan, et un seul.

Mais cela est encore insuffisant pour fonder la géométrie projective il faut ajouter : …… et ce plan contient les droites qui joignent ces trois points deux à deux. De l’axiome ainsi énoncé il est aisé maintenant de tirer cette proposition fondamentale : toute droite qui a deux points dans un plan y est tout entière.

Il nous faut encore un axiome que M. Russell passe complètement sous silence : une droite et un plan se rencontrent toujours. Ici vous m’arrêtez pour me dire « Mais cet axiome n’est pas vrai ; une droite et un plan peuvent être parallèles et ne pas se rencontrer ».

Mais rappelez-vous qu’au point de vue de la géométrie projective une droite et un plan parallèle se rencontrent en un « point à l’infini » qualitativement équivalent à un point ordinaire.