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régir non pas une seule suite de peuples auxquels on réserve le privilège d’être appelés historiques, mais tous les peuples qui ont existé ou existeront. Seulement, sous forme multipliée et avec des dimensions moindres, c’est toujours la même erreur qui se fait jour : celle de croire que, pour voir peu à peu apparaître la régularité, l’ordre, la marche logique, dans les faits sociaux, il faut sortir de leur détail, essentiellement irrégulier, et s’élever très haut jusqu’à embrasser d’une vue panoramique de vastes ensembles ; que le principe et la source de toute coordination sociale réside dans quelque fait très général d’où elle descend par degré jusqu’aux faits particuliers, mais en s’affaiblissant singulièrement, et qu’en somme l’homme s’agite mais une loi de l’évolution le mène.

Je crois le contraire en quelque sorte. Ce n’est pas que je nie qu’il existe, entre les diverses et multiformes évolutions historiques des peuples, coulant comme des rivières dans un même bassin, certaines pentes communes ; et je sais bien que, si beaucoup de ces ruisseaux ou de ces rivières se perdent en route, les autres, par une suite de confluents, et à travers mille remous, finissent par se confondre en un même courant général, qui, malgré sa division en bras divers, ne semble pas destiné à se fractionner en multiples embouchures. Mais je vois aussi que la véritable cause de ce fleuve final ne de ces rivières, de cette prépondérance finale d’une évolution sociale — de celle des peuples appelés historiques — parmi toutes les autres, est la série des découvertes de la science et des inventions de l’industrie qui ont été s’accumulant sans cesse, s’utilisant réciproquement, formant système et faisceau, et dont le très réel enchaînement dialectique, non sans sinuosités non plus, semble se refléter vaguement dans celui des peuples qui ont contribué à le produire. Et, si l’on remonte à la source véritable de ce grand courant scientifique et industriel, on la trouve dans chacun des cerveaux de génie, obscurs ou célèbres, qui ont ajouté une vérité nouvelle, un moyen d’action nouveau, au legs séculaire de l’humanité et qui, par cet apport, ont rendu plus harmonieux les rapports des hommes en développant la communion de leurs pensées et la collaboration de leurs efforts. À l’inverse, donc, des philosophes dont je viens de parler, je constate que le détail des faits humains renferme seul des adaptations saisissantes, que c’est là le principe des harmonies moindres perceptibles dans un domaine plus vaste, et que, plus on s’élève d’un petit groupe social très uni, de la famille, de l’école, de l’atelier, de la petite