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incomplète intelligence de mes idées, je ne m’y arrête pas. Elles tombent d’elles mêmes aux yeux de qui s’est placé nettement à mon point de vue. Je renvoie à mes ouvrages à cet égard.

Mais il ne suffit point de reconnaître ce caractère imitatif de tout phénomène social. Je dis, en outre, qu’à l’origine, ce rapport d’imitation a existé non pas entre un individu et une masse confuse d’hommes comme assez souvent plus tard, mais entre deux individus seulement dont l’un, enfant, naît a la vie sociale, et dont l’autre, adulte, déjà socialise depuis longtemps, lui sert de modèle individuel. C’est en avançant dans la vie que nous nous réglons souvent sur des modèles collectifs et impersonnels en même temps qu’inconscients d’ordinaire; mais, avant de parler, de penser, d’agir comme on parle, comme on pense, comme on agit dans notre monde, nous avons commence par parler, penser, agir, comme il ou elle parle, pense, agit. Et ce il ou cette elle, c’est tel ou tel de nos familiers. Au fond de on, en cherchant bien, nous ne trouverons jamais qu’un certain nombre de ils et de elles qui se sont brouilles et confondus en se multipliant. — Si simple que soit cette distinction, elle est oubliée par ceux qui, dans une institution et une œuvre sociale quelconque, contestent à l’initiative individuelle le rôle créateur, et croient dire quelque chose en professant, par exemple, que les langues et les religions sont des œuvres collectives, que les foules, les foules sans nul meneur, ont fait le grec, le sanscrit, l’hébreu, le bouddhisme, le christianisme, et qu’enfin, c’est par l’action coercitive de la collectivité sur l’individu petit ou grand, toujours modèle et asservi, nullement par l’action suggestive et contagieuse des individus d’élite sur la collectivité, que s’expliquent les formations et les transformations des sociétés. En réalité, de telles explications sont illusoires, et leurs auteurs ne s’aperçoivent pas qu’en postulant de la sorte une force collective, une similitude de millions d’hommes à la fois sous certains rapports, ils éludent la difficulté majeure, la question de savoir comment a pu avoir lieu cette assimilation générale. On y répond précisément en poussant l’analyse jusqu’où je l’ai conduite, jusqu’à la relation inter-cérébrale de deux esprits, au reflet de l’un par l’autre, et c’est seulement alors que l’on pourra s’expliquer ces unanimités partielles, ces conspirations des cœurs, ces communions des esprits qui, une fois formées et