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simultanée de tant d’idées précises, de tant de buts et de moyens précis, dans tous les esprits et dans toutes les volontés d’une même société à un moment donné, je prétends qu’elle est l’effet, non pas de l’hérédité organique qui a fait naître les hommes assez semblables entre eux, ni de l’identité du milieu géographique qui a offert à des aptitudes à peu près pareilles des ressources à peu près égales, mais bien de la suggestion-imitation qui, a partir d’un premier créateur d’une idée ou d’un acte, en a propagé l’exemple de proche en proche. Les besoins organiques, les tendances spirituelles, n’existent en nous qu’à l’état de virtualités réalisables sous les formes les plus diverses malgré leur vague similitude primordiale ; et, parmi ces réalisations possibles, c’est l’indication d’un premier initiateur imité qui déterminé le choix de l’une d’elles.

Revenons donc au couple social élémentaire, dont je parlais tout à l’heure, le couple non pas de l’homme et de la femme qui s’aiment — ce couple-la, en tant que sexuel, est purement vital, — mais bien le couple de deux personnes, à quelque sexe qu’elles appartiennent, dont l’une agit spirituellement sur l’autre. Je prétends que le rapport de ces deux personnes est l’élément unique et nécessaire de la vie sociale, et qu’il consiste toujours, originairement en une imitation de l’une par l’autre. Mais il s’agit de bien comprendre ceci pour ne pas tomber sous le coup de vaines et superficielles objections. Ce qu’on ne saurait me contester, c’est qu’en disant, en faisant, en pensant n’importe quoi, une fois engagés dans la vie sociale, nous imitons autrui à chaque instant, à moins que nous n’innovions, ce qui est rare ; encore est-il facile de montrer que nos innovations sont en majeure partie des combinaisons d’exemples antérieurs, et qu’elles restent étrangères à la vie sociale tant qu’elles ne sont pas imitées. Vous ne dites pas un mot qui ne soit pas la reproduction inconsciente maintenant, mais d’abord consciente et voulue, d’articulations verbales remontant au plus haut passé, avec un accent propre à votre entourage ; vous n’accomplissez pas un rite de votre religion, signe de croix, baisement d’icône, prière, qui ne reproduise des gestes et des formules traditionnels, c’est-à-dire formes par l’imitation des ancêtres ; vous n’exécutez pas un commandement militaire ou civil quelconque, vous ne faites pas un acte quelconque de votre métier qui ne vous ait été enseigné et que vous n’ayez copie sur un modèle vivant ; vous ne donnez pas un coup de pinceau, si vous êtes peintre, vous n’écrivez pas un vers, si vous êtes poète, qui ne soit conforme