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ont hasardé des lois générales, d’une certaine netteté, qui assujettiraient la marche des sociétés, sous ces divers aspects, à passer et à repasser par les mêmes sentiers de phases successives, arbitrairement tracés. Il a fallu reconnaître que ces prétendues règles sont rongées d’exceptions, et que l’évolution linguistique, juridique, religieuse, politique, économique, artistique, morale, est non pas une route unique, mais un réseau de voies ou les carrefours abondent.

Heureusement, à l’ombre et à l’abri de ces ambitieuses généralisations, des travailleurs plus modestes s’efforçaient, avec plus de succès, de noter des lois de détail tout autrement solides. C’étaient les linguistes, les mythologues, les économistes surtout. Ces spécialistes de la sociologie ont aperçu nombre de rapports intéressants entre faits consécutifs ou concomitants, rapports qui se reproduisent à chaque instant dans les limites du petit domaine qu’ils étudient : on trouve dans la Richesse des nations d’Adam Smith et dans la Grammaire comparée des langues indo-européennes de Bopp, ou dans l’ouvrage de Dietz, pour ne citer que ces trois ouvrages, une foule d’aperçus de ce genre, ou s’exprime la similitude d’innombrables actions humaines en fait de prononciation de certaines consonnes ou de certaines voyelles, d’achats ou de ventes, de productions ou de consommations de certains articles, etc. Il est vrai que ces similitudes elles-mêmes, quand les linguistes ou les économistes ont essaye de les formuler en lois, ont donne lieu à des lois imparfaites, relatives au plerumque fit; mais c’est parce qu’on s’était trop pressé de les énoncer, avant d’avoir dégagé, du sein de ces vérités partielles, la vérité vraiment générale qu’elles impliquent, le fait social élémentaire que la sociologie poursuit obscurément et qu’elle doit atteindre pour éclore.

Or cette explication générale à la fois des lois ou pseudo-lois économiques, linguistiques, mythologiques ou autres, on a souvent eu le pressentiment qu’il convenait de la demander à la psychologie. Nul ne l’a compris avec plus de force et de clarté que Stuart Mill. A la fin de sa Logique, il conçoit la sociologie comme la psychologie appliquée. Le malheur est qu’il a mal précisé sa pensée et que la psychologie a laquelle il s’est adressé pour avoir la clef des phénomènes sociaux était la psychologie simplement individuelle, celle qui étudie les relations internes des impressions ou des images, dans le sein d’un même cerveau et qui croit rendre compte de tout, dans ce domaine, par les lots de l’association des ces éléments internes.