les polémiques de presse, les débats parlementaires, ne font que les alimenter ? L’objection serait sans portée. Si les sauvages et les barbares discutent peu — et, c’est fort heureux, car la plupart de leurs discussions dégénèrent en querelles et combats, — c’est qu’ils ne parlent et ne pensent pour ainsi dire pas. Vu le nombre infiniment petit de leurs idées, on peut être surpris qu’elles se heurtent relativement si souvent. Et on peut être stupéfait de voir si processifs des gens qui ont si peu d’intérêts différents. Au contraire, il y a une chose qu’on devrait admirer, et qu’on ne remarque point, c’est que, dans nos villes civilisées, en dépit du flot abondant d’idées roulées en nous par la conversation et la lecture, il y ait, en somme, si peu de discussions, et des discussions si peu vives. On devrait être ébahi de voir cela, de voir les hommes tant penser, tant parler et si peu se contredire, tant agir et si peu plaider, comme de voir si peu d’accidents de voitures dans nos rues si animées et si encombrées, et comme de voir si peu de guerres éclater en nos temps de relations internationales si compliquées et si étendues ! Et qu’est-ce qui nous a mis à peu près d’accord sur tant de points ? Ces trois grandes choses, élaborées successivement par des discussions séculaires : la Religion, la jurisprudence, la Science. — Remarquons aussi qu’en pays civilise, les discussions publiques l’emportent beaucoup en importance, en intérêt poignant, en vivacité même, sur les discussions privées, et que c’est l’inverse en pays barbare. Nos séances parlementaires sont d’une violence croissante pendant que le ton des discussions de café et de salon s’adoucit.
En résumé, l’opposition-lutte, dans nos sociétés humaines, sous ses trois formes principales, guerre, concurrence, discussion, se montre à nous comme obéissant à la même loi de développement par voie d’apaisements intermittents et grandissants qui alternent avec des reprises de discorde amplifiée et centralisée, jusqu’à l’accord final, au moins relatif. De là il résulte déjà — et nous avons bien d’autres raisons de le penser — que l’opposition-lutte ne joue dans le monde social, comme dans le monde vivant ou le monde inorganique, que le rôle de moyen terme, destiné à disparaître progressivement, à s’épuiser et s’éliminer par ses propres agrandissements, qui sont une course après sa propre destruction. Et le moment est venu de dire, en effet, ou de redire plus explicitement, quel est le vrai rapport de ces trois grands aspects scientifiques de l’univers, que j’ai appelés Répétition, Opposition, Adaptation