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888 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

Les rhétoriques ne reconnaissent pas cette figure toutes les fois qu’il y aurait lieu. Voici parexemple qui à mon sens est une manière d’application. Un ami de Macaulay disait : « Avant de partir pour Calcutta, Macaulay parlait presque trop. Il a bien change, il a maintenant des éclairs de silence qui rendent sa .conversation délicieuse >>. Nous avons tous dans notre mémoire cette connexion « des éclairs d’éloquence », de même que des « éclairs de raison », et encore sans doute d’autres éclairs ; mais des éclairs de silence ! I Voilà la jolie surprise. Elle est obtenue par le rappel d’une locution familière à laquelle on plaque une variante bien inattendue. Évidemment ce n’est pas par là uniquement que le propos nous égaye. Nous nous disons par exemple qu’un éclair de silence ce n’est pas long, et que Macaulay n’est pas revenu si changé de Calcutta, etc, mais nous sommes maintenant habitués à cette multiplicité de principes risibles qui trouvent moyen de s’entasser dans une toute petite phrase.

Une princesse, un peu biberonne, et qui a gagne une petite trogne à ce jeu-là, se regarde au miroir et, se croyant seule, dit tout haut « Mais où ai-je pris ce nez-là ?- Au buffet », répond derrière elle la voix tranquille d’un arrivant que la princesse n’a pas vu. Nous sourions parce que la réponse s’emboîte avec une simplicité, une justesse parfaite dans la demande, mais avouons que le mot « buffet » y est pour quelque chose, ce qui amène une observation assez importante. Le mot joue souvent dans la production du rire le rôle capital ; d’abord sans doute par l’image de l’objet qu’il suscite, objet réputé vulgaire, trivial ou ridicule à la place où on l’amène, mais aussi par sa sonorité même. Il y a des mots dont le son amuse, probablement par des liaisons sourdes avec d’autres mots consonants qui sont bas ou ridicules. Cela me semble ici vrai du mot buffet sa première syllabe buff. rappelant boujf, me parait agir par une sonorité ridicule en elle-même. Je donne ceci comme exemple d’un effet qui se produit, je crois, dans une foule d’occasions. Mais voyez comme l’esprit humain est un milieu étonnant un mot venu du dehors y éveille en un clin d’œil vingt échos différents, y touche vingt cordes dont les vibrations se prolongent obscurément, et la durée d’un éclair suffit pour qu’en réponse vingt impressions surgissant du profond viennent se combiner à la sur-face, je veux dire dans la conscience, et se résoudre en un senti.. ment unique.