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P. LACOMBE. DU COMIQUg ET DU SPIRITUEL. 511

a entre notre humanité intime et nos semblants. De même il voit les conflits que nous avons avec la nature extérieure, toutes les occasions où elle déconcerte nos volontés et le genre de ridicule qui en résulte. Enfin, très finement sensible à la présence du comique partout où il se révèle, le grand rieur aperçoit encore ce qu’en contient le simple imprévu. Les rieurs de moindre stature se contentent avec quelques-unes des proies du grand comique. L’un ou l’autre des défauts de l’homme leur suffit. Moindres encore, ils se repaissent plutôt des désappointements de l’homme, ou de l’imprévu qu’ils obtiennent en compliquant les événements.

Il y a quelques mots à dire sur le burlesque. C’est l’attribution d’un caractère et d’un langage ou trop bas ou trop haut à un type connu ou convenu ; exemple on prend Enée, type héroïque, que Virgile a fait parler et agir d’après son rang, son courage convenu, et on impose à Enée la trivialité d’un bourgeois. On fait parler les dieux de l’Olympe comme dans la Belle Hélène. Inversement, on guindé au ton héroïque le langage d’un bonnetier. C’est le plus facile comique qu’il y ait il suffit d’une élévation ou abaissement systématique de ton. Au même genre appartiennent en somme les trivialités ou familiarités déplacées, les façons majestueuses ou nobles de parler mises hors de leurs lieux naturels. « J’aurai le rameau d’or qui dompte les tailleurs » est d’un joli burlesque par l’emploi du rameau d’or associé avec les tailleurs en même temps, il y a analogie des tailleurs avec les monstres de la fable.

Il y aurait de la subtilité à vouloir séparer nettement le grotesque d’avec le burlesque. C’est la même matière. Peut-être, quand on accommode la matière de façon à la rendre plutôt plaisante, pourrait-on dire « voilà le burlesque » ; et « voilà le grotesque », lorsque* cette matière est arrangée de façon à paraître un peu laide.

Mais le bouffon me semble chose distincte et autrement relevée. C’est le comique mené à l’extrême par un trait d’inconvenance exagéré jusqu’au fabuleux, au merveilleux, à l’invraisemblable. Ce qui fait le sérieux, la dignité littéraire du bouffon, c’est qu’il part d’une observation de la nature ; c’est une vérité en somme qu’on pousse à l’impossible, mais en ligne droite. La caricature, la charge dessinée qui fait un visage à la fois exagéré et très ressemblant, donne une idée de ce qu’est Iebouffon en littérature. Au sujet de Molière, SainteBeuve a parlé du bouffon avec justesse et presque avec éloquence.